La christianisation

La lente christianisation de l’Empire romain

Sarcophage-reliquaire. Ce sarcophage d’enfant montre le Christ, entre deux panneaux décorés de strigiles, tenant des deux mains un rouleau. Marbre, milieu IVe siècle, 42 x 121 x 52 cm.
© M. Lacanaud, Musée de l’Arles antique
En 312, l’empereur Constantin se met publiquement sous la protection du Dieu des chrétiens, qui lui aurait assuré la victoire lors de la bataille du pont Milvius, devant Rome, contre l’usurpateur Maxence. Cette date est considérée comme essentielle pour l’histoire du christianisme, puisqu’avec l’empereur, ce sont l’armée, l’administration et les élites impériales qui basculent vers la nouvelle religion. En trois siècles à peine, les croyances d’une petite secte juive de Judée ont valeur de religion officielle dans l’ensemble de l’empire romain.

Mais cette impression de succès et de diffusion rapide doit être tempérée. Les recherches tant historiques qu’archéologiques montrent que le christianisme fut en réalité beaucoup plus lent à supplanter le paganisme.

Il a fallu plus de six siècles pour que les anciennes provinces de l’Empire deviennent majoritairement chrétiennes. Si en 392, l’empereur Théodose met en place une législation qui réprime toutes les pratiques païennes, c’est bien parce qu’elles existent encore. Tout au long du Ve siècle, ces interdits sont d’ailleurs sans cesse renouvelés. En 529, Justinien oblige les païens à se convertir, ce qui signifie que tout le monde n’est pas encore chrétien.

L’Asie Mineure et l’Egypte ont été largement christianisées aux IIIe et IVe, même s’il subsiste encore longtemps des « poches de résistance », des temples qui ne ferment pas avant le Ve siècle. La Grèce, qui a pourtant connu des petites communautés fondées par Paul dès le milieu du Ier siècle, se convertit beaucoup plus lentement. L’Académie d’Athènes, haut lieu de transmission du savoir antique et donc de la philosophie païenne, est restée en fonction jusqu’à cette date. Le Parthénon semble n’avoir été transformé en église qu’au VIIe siècle. Des fouilles archéologiques ont montré que certains sanctuaires locaux retrouvaient une certaine activité tout au long du Ve siècle, un peu comme si les païens s’étaient réfugiés dans les campagnes, abandonnant désormais les centres urbains au christianisme triomphant.

En Gaule, le processus est lent également : un sanctuaire au dieu oriental Mithra, près d’Arles fonctionne jusqu’au début du Ve siècle. Clovis, roi des Francs est baptisé vers 496. Il faut attendre la fin du VIe siècle pour voir les chapelles rurales se multiplier, signe que la christianisation a atteint les campagnes les plus reculées. Et même alors, les survivances païennes se manifestent dans de nombreuses fêtes et pratiques que l’Eglise - organisée et hiérarchisée depuis le IIIe siècle -intègre peu à peu dans son calendrier et ses rites. L’Europe de l’Est et du Nord sera plus lente encore : l’Irlande commence à être christianisée au Ve siècle par Saint Patrick, l’Angleterre suit, à partir de 597, la Germanie au VIIIe siècle. Cependant, nombre de tribus celtes et de peuples d’Europe centrale, les fameux « barbares », avaient déjà été convertis, beaucoup plus tôt, au christianisme arien - jugé hérétique par les évêques réunis en Concile de Nicée en 325, qui définit le canon catholique.

S’il est possible de suivre assez précisément la progression de l’emprise de l’Eglise sur le pouvoir politique, la culture et la société, il est beaucoup plus difficile, faute de documents, de cerner la profondeur de la foi des nouveaux convertis. Les raisons du baptême sont en effet multiples : par conviction sous l’effet du prêche d’un missionnaire, à la suite du chef de la maisonnée, ou même du seigneur ou du roi, sous la contrainte de plus en plus forte de la majorité de la population et de l’évêque… et l’éducation chrétienne est souvent superficielle. Ceci explique en partie la persistance pendant tout le Moyen Âge, de multiples pratiques magiques ou liées à d’antiques cultes païens.
Sophie Laurant, Le Monde de la Bible