Synthèse thématique

La voie Domitienne

Dans son livre III, Polybe (IIe siècle avant notre ère) présente l’expédition militaire que mène Hannibal jusqu’en Italie à la fin du IIIe siècle avant notre ère. Il décrit la route que ce dernier emprunte entre Carthagène et la Gaule méridionale. Cette description indiquerait aussi qu’au milieu du IIe siècle avant notre ère, cet itinéraire était déjà borné tous les 8 stades (c’est-à-dire tous les milles : 1 480 m environ). 
Vue d’ensemble de l’opération sur le site de Roux-Moulinas. Dans la partie gauche (nord) du décapage, on devine le four de potier installé dans l’arrière-cour du relais routier gallo-romain. Au loin, le tracé de la voie Domitienne (actuel chemin de la Monnaie) s’étire nettement en direction d’Ambrussum et de Nîmes, parallèlement à l’actuelle autoroute A9.
Roux-Moulinas, Castries (Hérault), 2012-2013.
© PhotoVideoAerienne34, Inrap.
Cette information sous-tend qu’un arpentage de la voie avait été fait antérieurement à la création de la province de Gaule Transalpine (121 avant notre ère) et à la fondation de la colonie de Narbonne (118 avant notre ère). Elle signifierait que l’autorité et le contrôle de Rome sur les peuples du Languedoc étaient effectifs dès cette période afin de garantir notamment le passage des armées entre l’Hispanie et l’Italie. L’hypothèse d’accorder au proconsul d’Espagne Citérieure (province fondée en 197 avant notre ère) le contrôle des régions littorales entre Rhône et Pyrénées a ainsi été avancée.

Plus généralement, la création de la voie Domitienne est datée entre 121 et 118 avant notre ère. Elle est attribuée à son ordonnateur, le proconsul Cnéius Domitius Ahenobarbus, également fondat eur de Narbonne en 118. Il ne s’agirait pas d’une création ex nihilo, mais de l’aménagement du tracé d'un ensemble de pistes protohistoriques appelé « voie Héracléenne » par les historiens et géographes grecs. Une borne milliaire de cette période a été découverte au pont de Treilles (Fitou), à 20 km au sud de Narbonne (Ad Vicensimum sur les Itinéraires). Elle porte le nom de Domitius (Cn. Domitius Cn. f/Ahenobarbus/imperator XX). Cette inscription serait de très peu postérieure à la victoire de 121, qui valut à Domitius le titre d’Imperator

Dans sa Géographie, Strabon, contemporain d’Auguste, fait référence à cet itinéraire en donnant des distances entre le nord des Pyrénées et le Rhône. Ces distances apparaissent également sur quatre petits gobelets en argent dits « de Vicarello », gravés successivement durant la période augustéenne. Sur ces gobelets sont mentionnées toutes les stations entre la cité punique de Gades et Rome. Les étapes sur la Via Domitia y sont indiquées. Dans l’Hérault et le Gard ce sont Baeterrae (Béziers), Cessero (Saint-Thibery), Frontiana (Mèze ?), Forum Domitii (Montbazin), Sextantio (Castelnau-le-Lez), Ambrussum (Villetelle), Nemausus (Nîmes) et Ugernum (Beaucaire).

Cet itinéraire est également connu par la Table de Peutinger et l’Itinéraire d’Antonin, qui donnent, eux aussi, le nom de toutes les agglomérations traversées et les distances qui les séparent, qu’il s’agisse de lieux d’étapes (mansiones), de simples relais (mutationes) ou de forums (fora). Cette voie a fait l’objet de transformations ou de modifications au cours des siècles. Grâce à Ciceron, on sait que des réparations ont eu lieu en 74 avant notre ère (plaidoirie Pro Fonteio). Des réfections sont connues ou déduites de certaines bornes qui portent à la fois le nom de l’empereur et la formule fecit ou restituit. Des travaux sont ainsi attestés tout au long du Haut-Empire, mais aussi aux IIIe et IVe siècles.

La voie Domitienne sur le nouveau tracé de l’autoroute A9…

Dans le Nîmois et le Montpelliérais, la voie Domitienne est partiellement documentée. Elle a été étudiée à plusieurs reprises à Nîmes, à Lunel, Ambrussum ou au Crès. Ces travaux ont montré des situations diverses, notamment des chronologies différentes et des chaussées plus ou moins larges, bâties inégalement.   

Sur les emprises du déplacement de l’autoroute A9, c’est le secteur du Roux-Moulinas à Castries, qui a permis de la documenter. La chaussée n’y est conservée qu’en partie, mais deux fossés bordiers permettent de fixer son emprise sur près de 17 m de large. Les fouilles apportent ici des datations comprises entre la fin du IIe siècle avant notre ère et le début du Ier siècle de notre ère. Elles ont également révélé l’implantation d’un relais routier et d’une officine de potier à son contact, particulièrement bien situés, à mi-distance des agglomérations routières de Sextantio et d’Ambrussum et au point de franchissement du cours d’eau du Bérange.

Après le début du Ier siècle de notre ère, l’usage de la voie échappe en grande partie à l’analyse. Sa pérennité est cependant assurée comme le montre le développement du manse puis du village castral du Mas de Roux, situés à proximité, en rive droite du Bérange. Cet établissement enserre son tracé et en contrôle le passage. Son empreinte dans les cadastres plus récents permet de s’assurer de sa longue utilisation.

Plus à l’ouest, un diagnostic mené lui aussi sur le déplacement de l’A9 a permis de reconnaître ce tracé. Il est ici fossilisé dans la garrigue et sert de limite communale entre les communes de Baillargues et Castries. Sa construction est surélevée sur près de 1,20 m de hauteur et bordée par un fossé contenant des mobiliers de la période républicaine (Ier siècle avant notre ère). L’ouvrage fait l’objet de réfections qui ne sont pas datées. Jalonnant ce tronçon, un ensemble inédit de quatre bornes a également été repéré. Leur chronologie est sommairement évaluée entre le Moyen Âge et la période moderne.

Ces bornes, taillées dans un calcaire local, sont assez massives. L’une d’elle porte une croix latine gravée. Elle se situe en un point remarquable, où la limite entre les anciennes paroisses de Castries et de Baillargues s’infléchit vers le sud pour englober le territoire de l’ancien village du Mas de Roux.

Hervé Pomarèdes, Cyril  Gaillard