Synthèse méthodologique

La fouille des puits

Plusieurs dizaines de puits ont été découverts lors des fouilles archéologiques menées le long des deux grands tracés linéaires entre Nîmes et Montpellier. Ces structures témoignent de l’impérieuse nécessité de l’approvisionnement pérenne en eau potable pour les populations qui se sont succédé ; c’est particulièrement manifeste dans un contexte soumis aux contraintes du climat méditerranéen. 
Fouille mécanique par paliers de sécurité d’un puits médiéval circulaire avec parement de pierres sèches. 
Lallemand, Mauguio (Hérault), 2013.
© Christophe Tardy, Inrap.
Des territoires alluviaux variés de la plaine du Vistre jusqu’à celle du Lez, en passant par les affleurements rocheux karstiques (calcaires dissous par l’eau) présents sur les communes de Lunel, Castries et Lattes, ces structures archéologiques profondes présentent en conséquence des formes de construction et d’aménagement différents. En effet, le mode de creusement et le type de bâti des puits sont conditionnés par la nature des réseaux aquifères et le substrat géologique. Ils ont évolué au fil du temps en fonction des techniques mises en œuvre pour capter l’eau en profondeur. Leur typologie peut varier également en fonction de la destination finale de cette ressource, selon qu’elle fut collective ou privée, en contexte rural ou urbain, pour une alimentation en eau potable ou pour d'autres utilisations artisanales, agraires ou pastorales.

Les puits : mines d’eau depuis la Préhistoire

Aménagements spécifiques creusés par l’homme et destinés à acquérir une eau de qualité et de proximité, les puits les plus anciens au monde ont vu le jour avec la révolution agricole du Néolithique.   

Plusieurs exemples du Néolithique moyen et final ont été mis au jour sur les sites du Contournement ferroviaire de Nîmes et Montpellier et du Déplacement de l’autoroute A9 à la hauteur de Montpellier. Creusés sur quelques mètres de profondeur, à même le substrat, non renforcés par des pierres ou matériaux périssables, ils ont été fouillés au moyen d’engins mécaniques. L’étude de leur remplissage révèle que certains d’entre eux furent remployés comme dépotoirs, avec, parfois, des cadavres d’animaux (site de Péras à Mauguio).   

D’autres ont eu une vocation secondaire d’ordre funéraire, comme sur le site de Castelle et Fromigue à Lattes , ou sur le site de Lallemand à Mauguio. Ces observations suggèrent des liens possibles entre les puits et le monde des morts, à rapprocher d’anciennes pratiques d’inhumation observées à proximité d’aven comme celui de Montel à Lunel-Viel, au Néolithique ancien, ou de la grande fosse sépulcrale du Néolithique final du Mas Rouge à Montpellier, dont l’étude faunique révèle la présence d’eau dans le fond de la structure, sans que l’on puisse pour l’instant évoquer une fonction de citerne.

Les puits des âges des Métaux découverts sur les deux tracés (site de Saint-Pierre à Lattes) à l’instar des puits plus anciens, n’ont pas révélé d’aménagements particuliers destinés à la consolidation des parois du creusement.

En revanche, pour les périodes antiques et médiévales, certaines structures comportent des parements de pierre, qui viennent suppléer la fragilité du substrat, permettant probablement d’augmenter la durée d’utilisation du puits.

Un protocole sécurisé et innovant pour la fouille manuelle des puits

L’intervention mécanique pour la fouille d’un puits s’effectue par paliers. Cependant la solidité du conduit et/ou la présence d’un cuvelage autorisent un autre type d’investigation archéologique, alliant fouille manuelle et sécurité.

L’exploration des puits par les archéologues exige de fait la prise en compte de problématiques spécifiques liées à la descente en profondeur, à la gestion de l’air ambiant, à l’évacuation de l’eau et des déblais, à l’analyse du creusement et du bâti.   

La fouille fine s’effectue à l’aide d’une plateforme spécialisée. Constituée de tubes d’échafaudages destinés à supporter un système de treuillage, celle-ci accueille tous les appareils nécessaires à une fouille manuelle sécurisée : éclairage, ventilation, pompage…, ainsi que les équipements de prévention des risques (anti-chutes, harnais, casques, détecteurs de gaz…).   

Sa mise en œuvre nécessite la présence d’un fouilleur en profondeur, d’un treuilliste et d’une personne chargée de l’évacuation des déblais. L’excavation d’un puits reste un acte archéologique, non indépendant du reste de la fouille. De nombreux plateaux techniques s’organisent autour du puits : évacuation des eaux, extraction des déblais issus de son comblement, stockage, tamisage des sédiments, prélèvements, conditionnement des mobiliers, enregistrements, mesures…

L’apport des puits à la compréhension des sites

La fouille manuelle des puits permet de comprendre les techniques de construction, de puisage ainsi que les différentes fonctions des structures.   

L’étude des éléments de bâti préservés en profondeur autorise la caractérisation des roches, des modules employés, de leur agencement et des aménagements réalisés. La stratigraphie des comblements enregistre quant à elle la superposition des différents niveaux d’utilisation, depuis la phase de fonctionnement du puits au cours de la période de collecte de l’eau jusqu’à celle de l’abandon, progressif ou rapide, de la structure.     

La conformation particulière du puits en fait un ensemble clos, où les vestiges subissent peu de perturbation après leur dépôt. De plus, lorsque les puits ont conservé les niveaux de nappes phréatiques originels, le milieu humide favorise la préservation des matériaux organiques (cuir, bois, textiles…). Formidables pièges pour les pollens, graines, insectes et parasites, les puits constituent ainsi une ressource unique pour l’étude des paléoenvironnements.   

Perspectives

Les puits ne sauraient désormais être victimes de la difficulté de leur exploration. Une fois relevé le défi technologique, l’aspect scientifique redevient l’intérêt central de la réalisation de cette fouille spécifique.   

Ces structures profondes peuvent désormais constituer une source documentaire pertinente  pour la compréhension des sites archéologiques quant aux choix d’installation des populations, à l’évolution des techniques de creusement et de puisage jusqu’à  la restitution des activités humaines périphériques et des paysages alentour.   

Christophe Tardy