Les méthodes

L’archéopédologie

Le projet scientifique porté par l’Inrap sur le tracé du canal Seine-Nord Europe a pour ambition de fournir aux archéologues un large éventail d’outils leur permettant un enregistrement optimal des informations recueillies sur le terrain. Des spécialistes des sciences de la terre et des sciences naturelles apportent leurs compétences à la recherche archéologique et contribuent à une meilleure compréhension des sites fouillés.
Apport de la recherche d’indices pédologiques dans la compréhension d’une structure archéologique (La Sole des Galets à Cizancourt).
© Inrap
Un archéopédologue sur le canal Seine-Nord Europe
L’archéopédologie est une science des sols appliquée à l’archéologie qui permet de comprendre leur formation et leur évolution. L’archéopédologue contribue à la compréhension des stratigraphies. Il détermine la dynamique du comblement des structures archéologiques, comme par exemple, le comblement des trous formés par les poteaux dont le bois s’est décomposé, en précisant la vitesse d'apport du sédiment et son origine. Il met en évidence les traces laissées dans le sol par divers processus chimiques et physiques associés aux structures archéologiques, par exemple, une croûte de fer formée sous un poteau par un phénomène d’oxydoréduction en milieu comprimé, des accumulations de phosphates dues à des déjections animales ou encore des accumulations de cuivre ou de mercure à proximité des parois d’un bâtiment romain, dues au type de pigments utilisé pour la réalisation de fresques murales. Ces informations se révèlent souvent incontournables pour attribuer une fonction aux espaces ou aux bâtiments dont il ne reste bien souvent que des vestiges ténus.

Du prélèvement au laboratoire
Avant de faire des analyses physicochimiques, l’archéopéodologue étudie l’état de conservation pédologique du site archéologique dans son ensemble. En effet, les résultats des analyses dépendent du taux d’érosion, de la dégradation chimique et du taux de bioturbation (mélange des couches de sol par les espèces vivantes) des sols. Pour exemple, une cartographie des phosphates sur un site est dépendante du taux d’érosion, le phosphore migrant très peu dans le sol.

Puis, des prélèvements sont réalisés sur le terrain. La précision de leur positionnement stratigraphique et l’absence de perturbations des sols (comme les galeries creusées par les fouisseurs) sont essentielles pour que les analyses soient pertinentes. Les échantillons sont envoyés à divers spécialistes : micromorphologues (étude de l’organisation du sol au niveau microscopique), carpologues (étude des graines), phytolithiciens (étude des microrestes minéraux d’origine végétale), palynologues (étude des pollens), anthracologues (étude des restes végétaux), et à différents laboratoires, de physique ou d’agronomie.

L’archéopédologue réunit les résultats de ces analyses et en propose une synthèse aux archéologues responsables d’opérations.

Des résultats étonnants
Les études conduites sur le site du Grotin, à Sauchy-Lestrée, témoignent de l’importance de la collecte exhaustive d’informations pour la compréhension d’un site.

À l’emplacement d’un bâtiment sur poteaux partiellement conservé, l’archéopédologue a réalisé une cartographie du taux de phosphate du sédiment. Il a prélevé à intervalles réguliers une petite quantité de sédiment sur toute la surface à étudier. Ces échantillons ont ensuite été analysés afin de déterminer la proportion de phosphates présents dans une quantité fixe de sédiment. Sachant que ces phosphates proviennent de la dégradation de matières organiques (excréments, végétaux) ou d'ossements, leur mise en évidence permet d'appréhender les activités économiques d'une implantation humaine comme les espaces dédiés à l’élevage ou au stockage. L’étude a ainsi permis de démontrer que l'espace intérieur du bâtiment est plus riche en phosphates que l'espace environnant, et que cette zone de pollution s'étend au-delà des limites du bâtiment mis en évidence par les archéologues : la construction s’est donc révélée plus grande qu'on ne le pensait à l'origine. Par la suite, le géophysicien a mis en évidence une hausse de la susceptibilité magnétique à l’intérieur du bâtiment. Sachant que la dégradation de la matière organique par les bactéries du sol influence la formation de minéraux magnétiques, la pollution en phosphates semble provenir de matière organique. Le bâtiment étudié pourrait donc être une étable.

Une analyse parasitologique, c’est-à-dire une recherche d'œufs, d'exuvies ou de kystes de parasites intestinaux ou épidermiques dans le sédiment confirmerait cette hypothèse. Théoriquement, il serait même possible de déterminer la nature des animaux élevés.

Sur le site La Sole des Galets, à Cizancourt, l’archéologue a fait appel à l’archéopédologue pour orienter sa méthode de fouille : les coupes stratigraphiques réalisées dans un fossé profond n’ayant pas fourni d’indices permettant d’en déterminer une fonction bien définie, une analyse des sols a été réalisée, révélant la présence d’une palissade bordant le fossé.  L’archéologue a donc poursuivi la fouille par un décapage horizontal pour tenter d’identifier les traces de trous de poteaux.

À la croisée de plusieurs disciplines, interface incontournable entre l’archéologue et les scientifiques, l’archéopédologue, en sensibilisant l’équipe de fouille à la nécessité d’effectuer des prélèvements adaptés, participe à la compréhension des sites par l’étude de la formation des sols et de leur évolution.
Frédéric Broes