Le chapiteau ionique archaïque
Après la seconde guerre mondiale et les importantes destructions subies par les vieux quartiers de Marseille, des explorations archéologiques ont été menées avant les travaux de reconstruction. Celles-ci ont mené à plusieurs découvertes majeures : le théâtre antique, le « forum bas », les entrepôts romains du musée des Docks, etc. La mise au jour d’un chapiteau ionique utilisé en remploi dans un quai du port est primordiale pour la connaissance de la ville grecque archaïque (VIe-Ve siècles avant notre ère).

Le chapiteau ionique lors de sa découverte. On voit ici la face inférieure du plus grand des deux fragments retrouvés, le « lit de pose », qui comporte une cavité carrée permettant l’assemblage avec la colonne.
© SRA, DRAC PACA, archives Benoit
© SRA, DRAC PACA, archives Benoit
L’unique vestige connu d’un temple introuvable
En 1952, le creusement d’une tranchée pour l’installation du tout-à-l’égout en contrebas de la butte Saint-Laurent (dans l’ancienne rue Mayousse) a recoupé un mur à l’intérieur duquel se trouvaient deux fragments jointifs d’un grand chapiteau ionique. Cet élément monumental (1,80 m de long pour 1,12 m de large et 0,66 m de haut, pesant plus d’une tonne) taillé dans du calcaire blanc des carrières de Saint-Victor provient d’un grand temple qui devait, selon toute probabilité, se situer à proximité.
Ce temple pourrait être celui d’Apollon, d’Athéna ou d’Artémis d’Éphèse, les principales divinités vénérées dans Marseille grecque, dont les sanctuaires sont mentionnés par les auteurs antiques.
Ainsi le géographe grec Strabon, au Ier siècle avant notre ère, fait état de sanctuaires dédiés à Artémis d’Éphèse et à Apollon. Et, au IIIe siècle de notre ère, l’historien latin Justin, relatant des faits s’étant déroulés au IVe siècle avant notre ère, cite le temple d’Athéna, qu’il localise sur l’acropole. L’emplacement exact de ces monuments, dont la construction remonte à la période grecque archaïque, nous est encore inconnu puisqu’aucun vestige n’en a, jusqu’à présent, été découvert. Selon toute vraisemblance, ils se situaient sur les éminences de la ville : butte Saint-Jean, butte Saint-Laurent et/ou butte des Moulins. Le chapiteau ionique retrouvé en contrebas de la butte Saint-Laurent, à proximité du promontoire Saint-Jean, pourrait en être un témoignage.

Fernand Benoit, alors directeur des Antiquités historiques et responsables des fouilles, lors de la découverte du chapiteau ionique en 1952.
© SRA, DRAC PACA, archives Benoit
© SRA, DRAC PACA, archives Benoit
La reconstruction du temple à partir du chapiteau
Les trois grands ordres architecturaux grecs – dorique, ionique et corinthien – correspondent à des chronologies différentes, mais également à des proportions et des ornementations spécifiques.
De style ionique, et donc orné de volutes latérales, le chapiteau découvert à Marseille est daté, selon les spécialistes, vers 540-530 avant notre ère ou du tout début du Ve siècle. L’« œil » surcreusé au centre des volutes accueillait en son temps un cabochon de marbre. L’ensemble était vraisemblablement stuqué pour cacher les imperfections et réhaussé de couleurs vives (rouge, bleu ou or).
Les proportions entre la taille d’un chapiteau, la largeur et la hauteur des colonnes répondent, dans chacun des ordres, à des équilibres précis, impliquant ici une hauteur de colonne de 8 m. De la même façon, la hauteur de la colonnade reflète les dimensions au sol du monument. Par conséquent, les proportions et les dimensions du chapiteau ionique marseillais le font attribuer à un temple périptère, c’est-à-dire entouré de colonnes sur ses quatre faces, de 20 à 25 m de large sur 45 à 50 m de long.
Cet unique élément architectural a permis de restituer un des édifices majeurs de la parure monumentale de Marseille durant la période grecque archaïque.
- À partir du chapiteau fragmentaire, il est possible de restituer l’objet entier...À partir du chapiteau fragmentaire, il est possible de restituer l’objet entier, puis d’en déduire le...À partir du chapiteau fragmentaire, il est possible de restituer l’objet entier, puis d’en déduire le diamètre et la hauteur de la colonne qui le soutenait. Les proportions de cette colonne, donc la hauteur de l’édifice, induisent à leur tour un volume et une surface pour la construction entière. Ainsi, à partir d’un simple fragment, les connaissances actuelles permettent de redonner forme à un bâtiment complet !© P. Magontier 2013, Musée d’Histoire de MarseilleLe chapiteau était supporté par une colonne à fût cannelé,...Le chapiteau était supporté par une colonne à fût cannelé, ce qui, outre les balustres (volutes...Le chapiteau était supporté par une colonne à fût cannelé, ce qui, outre les balustres (volutes horizontales) du chapiteau, est une des caractéristiques du style ionique. Les colonnes ioniques présentant en général une hauteur de 8,5 fois leur diamètre, on peut estimer que celle-ci était haute de 8 m.© P. Magontier 2013, Musée d’Histoire de MarseilleCompte tenu des proportions en usage dans l’ordre ionique, la hauteur estimée de 8 m permet de ...Compte tenu des proportions en usage dans l’ordre ionique, la hauteur estimée de 8 m permet à son tour de...Compte tenu des proportions en usage dans l’ordre ionique, la hauteur estimée de 8 m permet à son tour de déterminer que la façade du temple comptait 6 colonnes (c’est un temple hexastyle). Celles-ci soutenaient l’architrave, base de l’entablement servant de support au couronnement.© P. Magontier 2013, Musée d’Histoire de MarseilleOn sait d’autre part que, dans l’ordre ionique, à n colonnes disposées en façade répondent...On sait d’autre part que, dans l’ordre ionique, à n colonnes disposées en façade répondent toujours 2n + 1...On sait d’autre part que, dans l’ordre ionique, à n colonnes disposées en façade répondent toujours 2n + 1 colonnes latérales. Ce sont donc ici 13 colonnes qui sont visibles sur le côté du temple en cours de reconstitution, la première et la dernière appartenant l’une à la façade et l’autre à l’arrière de l’édifice.© P. Magontier 2013, Musée d’Histoire de MarseilleL’ensemble forme un édifice périptère, c’est-à-dire entouré sur ses quatre côtés par une colonnade extérieure,...L’ensemble forme un édifice périptère, c’est-à-dire entouré sur ses quatre côtés...L’ensemble forme un édifice périptère, c’est-à-dire entouré sur ses quatre côtés par une colonnade extérieure, comptant ici en tout 34 colonnes. L’intérieur du temple, le naos, est délimité par des murs alignés sur la 2e et la 5e colonne de la façade.© P. Magontier 2013, Musée d’Histoire de MarseilleÀ l’entrée du temple se trouve le pronaos, vestibule à colonnade (ici 4 colonnes) compris entre les deux murs latéraux,...À l’entrée du temple se trouve le pronaos, vestibule à colonnade (ici 4 colonnes) compris entre les deux...À l’entrée du temple se trouve le pronaos, vestibule à colonnade (ici 4 colonnes) compris entre les deux murs latéraux, qui permettait de ne pas entrer directement dans le saint des saint.© P. Magontier 2013, Musée d’Histoire de MarseilleLe pronaos donne accès au naos, partie fermée au cœur du temple, qui accueille la statue de la divinité...Le pronaos donne accès au naos, partie fermée au cœur du temple, qui accueille la statue de la...Le pronaos donne accès au naos, partie fermée au cœur du temple, qui accueille la statue de la divinité. La largeur de sa porte, toujours à double battant, est généralement déterminée par l’espace entre deux colonnes.© P. Magontier 2013, Musée d’Histoire de Marseille