Les épaves de bateaux grecs et romains
Les épaves de navires antiques découvertes dans la rade de Marseille illustrent le dynamisme économique du port de Marseille depuis larrivée des premiers colons phocéens. Leur mise au jour nest pas uniquement le fait des fouilles subaquatiques ; plusieurs sites terrestres ont livré les vestiges de bateaux ou dinstallations liées à la construction navale. En effet, du fait des remblaiements successifs intervenus au cours des siècles, les rivages antiques se trouvent actuellement plusieurs dizaines de mètres à lintérieur des terres, ponctuellement touchés par des opérations durbanisme et donc des fouilles préventives.

Cette maquette représentant Marseille au IIe siècle avant notre ère montre limportance du port de guerre. Les loges individuelles des navires, bien visibles sur le rivage, permettaient aisément de les tirer au sec ou, au contraire, de les remettre à leau rapidement lorsque cela était nécessaire.
© A. Hesnard, maquette D. Delpalillo (CCJ, CNRS)
© A. Hesnard, maquette D. Delpalillo (CCJ, CNRS)
Les découvertes
La plus ancienne mention dépave découverte dans Marseille date de 1864 et correspond à celle dun navire de commerce romain des IIe-IIIe siècles. Cette « galère de César », qui a été partiellement prélevée, est actuellement exposée au musée des Docks.
Depuis cette date, les découvertes dépaves se sont multipliées, essentiellement concentrées sur la rive nord de la calanque, à lemplacement du centre névralgique du port antique.
En 1974, la fouille de la Bourse a extrait des sédiments les vestiges dun navire marchand du IIIe siècle de notre ère. Conservés par lyophilisation, ceux-ci sont actuellement visibles au musée dHistoire de Marseille.
Mais cest surtout place Jules-Verne , en 1993, que les découvertes dépaves ou de fragments de coques ont été les plus nombreuses et intéressantes. Parmi celles-ci, deux navires du milieu du VIe siècle avant notre ère (Jules-Verne 7 et 9, également prélevés, traités et exposés au musée dHistoire)témoignent des techniques darchitecture navale utilisées durant la période grecque archaïque. Datés des Ier et IIe siècles de notre ère, trois des cinq navires romains mis au jour étaient des bateaux de service préposés à lentretien du plan deau : un mécanisme installé au centre de lembarcation permettait le curage des vases déposées au fond du port. La partie supérieure de la proue dune petite barque romaine du IIIe siècle (Jules-Verne 8) a été exhumée dans un état de conservation exceptionnel. Enfin lépave Jules-Verne 1-2, ainsi nommée parce quelle a été retrouvée coupée en deux, était celle dun navire de charge du IVe siècle.
Sur la place Villeneuve-Bargemon toute proche, une épave grecque a également été fouillée en 1997 ; elle avait été construite selon une technique mixte, similaire à celle utilisée dans le bateau Jules-Verne 7.
Le cas particulier des épaves Jules-Verne 7 et 9
Deux navires dépoque grecque archaïque ont été retrouvés côte à côte, abandonnés dans les vases marines dépoque grecque, sous lactuelle place Jules-Verne. Ils avaient dû naviguer depuis la fondation de la cité puis, devenus trop vétustes, être désarmés et coulés vers -545, à une trentaine de mètres du rivage dalors.
Ils présentent les mêmes grandes caractéristiques architecturales : les bateaux ont été construits « sur bordé », selon une technique antique en usage à Phocée et dans sa colonie massaliète ; la coque était assemblée en premier, puis rigidifiée par larmature interne. Toutefois ce sont leurs différences qui apportent de précieuses informations sur lévolution de la construction navale au cours de la seconde moitié du VIe siècle avant notre ère.
Lépave Jules-Verne 9, la plus petite des deux, était conservée sur 5 m de long et 1,50 m de large. Elle était celle dune barque côtière dune dizaine de mètres, aux formes élancées, propulsée à la rame et grâce à une petite voile auxiliaire, qui avait servi à la pêche au corail. Toutes ses parties étaient assemblées par des ligatures végétales en lin.
Lépave Jules-Verne 7, conservée quant à elle sur 14 m de long et presque 4 m de large, appartenait à un petit caboteur de commerce dune quinzaine de mètres, équipé dune voile carrée et pouvant supporter une charge dune douzaine de tonnes. Les éléments de sa coque avaient été ajustés au moyen de tenons chevillés dans des mortaises, tandis que larmature interne était cloutée ou chevillée. Les ligatures nétaient utilisées que pour lassemblage des extrémités de la coque et les réparations.
Probablement dorigine phénicienne, la technique des tenons et mortaises appliquée à la construction navale a engendré une nouvelle génération de navires, plus grands et plus solides, qui ont contribué à lexpansion commerciale de Marseille à lépoque grecque.
- Les deux épaves grecques Jules-Verne 7 et Jules-Verne 9 ont été découvertes abandonnées au fond du port,...Les deux épaves grecques Jules-Verne 7 et Jules-Verne 9 ont été découvertes abandonnées au fond du port,...Les deux épaves grecques Jules-Verne 7 et Jules-Verne 9 ont été découvertes abandonnées au fond du port, sans doute en raison de leur vétusté. Progressivement recouvertes et protégées par les vases marines, elles ont été préservées jusquà nos jours.© Ph. Folliot (CCJ, CNRS)
- Maquette de restitution au 1/10e de l'épave grecque archaïque Jules-Verne 7 réalisée par le CCJ/CNRS.Maquette de restitution au 1/10e de l'épave grecque archaïque Jules-Verne 7 réalisée par le...Maquette de restitution au 1/10e de l'épave grecque archaïque Jules-Verne 7 réalisée par le CCJ/CNRS.
© Ph. Folliot, maquette R. Roman (CCJ, CNRS) - Ces deux pièces de chêne, simplement ébauchées et mises à tremper dans une fosse emplie d’eau de mer...Ces deux pièces de chêne, simplement ébauchées et mises à tremper dans une fosse emplie deau...Ces deux pièces de chêne, simplement ébauchées et mises à tremper dans une fosse emplie deau de mer dans le chantier naval du Ve siècle avant notre ère sur le site de lespace Bargemon, étaient destinées à être utilisées comme membrures dun futur navire.© F. Parent, Inrap
La construction navale et lentretien
Les fouilles menées dans le quartier de lactuel Hôtel de ville ont révélé des structures artisanales liées à la construction ou à la réparation des bateaux. Ainsi, place Villeneuve-Bargemon et sur le site de lespace Bargemon, aux Ve et IVe siècles avant notre ère, plusieurs pièces de bois dégrossies ou déjà taillées avaient été mises à tremper dans des fosses en attendant leur utilisation dans la charpenterie navale.
Lenlèvement des vases marines dépoque romaine a également permis de découvrir près dun millier dobjets en bois, miraculeusement préservés par ce milieu humide et sans oxygène. Ces outils et éléments daccastillage (minahouets, épissoirs, cabillots, poulies…) constituent une collection unique dobjets rarement retrouvés en fouille. La variété des essences utilisées – buis, chêne vert, olivier, pin ou hêtre – reflète la recherche des qualités mécaniques des différents bois, mais également et de façon plus opportuniste, les facilités dapprovisionnement.
Dans ce même secteur, des cales de halage permettaient de tirer les navires sur la grève soit pour leur entretien, soit pour les mettre à labri, en période hivernale, lorsque la mer était trop mauvaise. Les cales étaient constituées de poutres fixes et de rouleaux mobiles en bois posés sur le sédiment argileux des plages. Les installations dévolues aux petites embarcations sur la fouille de la place Jules-Verne, voisinaient avec les vastes hangars du port de guerre hellénistique, en partie reconnus sur les sites de la place et de lespace Villeneuve-Bargemon. Ces vastes neoria, en usage aux IIIe et IIe siècles avant notre ère comportaient des loges parallèles de 40 m de long pour 5 à 6 m de large, couvertes, bâties perpendiculairement au rivage, qui permettaient dentreposer « au sec » et dentretenir les vaisseaux de guerre de la flotte massaliète.
Ces découvertes donnent corps à la puissance maritime marseillaise, vaincue par les navires romains lors du siège de César en 49 avant notre ère, et que le géographe Strabon évoquait en ces termes : « Ils ont aussi chez eux des hangars pour les navires de guerre et un arsenal. Mais ils disposaient en outre autrefois, dune grande quantité de navires ainsi que darmes et dengins multiples pour les transports par mer et pour le siège des villes, grâce à quoi ils purent dune part résister aux barbares, dautre part se gagner lamitié des Romains, auxquels ils rendirent dutiles services dans maintes occasions et aussi les aidèrent à accroître leur puissance. »
- Sur la fouille de la place Jules-Verne, trois épaves similaires ont été découvertes...Sur la fouille de la place Jules-Verne, trois épaves similaires ont été découvertes : elles correspondent...Sur la fouille de la place Jules-Verne, trois épaves similaires ont été découvertes : elles correspondent à des bateaux de servitude, dont le « puits » central pouvait accueillir soit un mécanisme permettant de curer les vases au fond du port, soit un clapet permettant de les évacuer hors de la calanque.© D. Michel, Inrap
- La proue de l’épave Jules-Verne 8, provenant d’une barque romaine du IIIe siècle, est un élément rarement conservé...La proue de lépave Jules-Verne 8, provenant dune barque romaine du IIIe siècle, est un...La proue de lépave Jules-Verne 8, provenant dune barque romaine du IIIe siècle, est un élément rarement conservé des navires antiques : lextrémité de létrave et le sommet des membrures tenant lieu de bittes damarrage.© L. Damelet (CCJ, CNRS)