Vue aérienne du chantier en cours de fouille, au premier plan, et du village d'Étricourt-Manancourt, au second plan. © D. Gliksman, Inrap
Description
À l'emplacement du futur bassin de rétention du canal Seine-Nord Europe, une opération de diagnostic réalisée en 2010 sur la commune d'Étricourt-Manancourt avait mis en évidence un niveau paléolithique. En 2012 une équipe de l'Inrap a fouillé pendant six mois, sur une surface d'environ 5000 m² et jusqu'à 11 mètres de profondeur, ce site préhistorique situé au nord-est du département de la Somme.Résultats
Cette opération exceptionnelle a mis au jour plusieurs occupations humaines permettant de retracer l'histoire des premiers peuplements européens en relation avec les changements environnementaux survenus lors de ces 340 000 dernières années.De nombreuses occupations néandertaliennes
Le gisement de plein air a révélé cinq niveaux préhistoriques, qui s'échelonnent entre -300 000 et -85 000.
Les deux niveaux les plus anciens sont exceptionnels. Datés de -300 000, ils appartiennent à la culture acheuléenne* (entre -1 million et -300 000) du Paléolithique inférieur. Les silex taillés retrouvés ont été façonnés soit par les derniers Homo heidelbergensis (ancêtre de Homo neanderthalensis ayant vécu entre environ -800 000 et -300 000), soit par les premiers Néandertaliens du nord de la France.
Les deux niveaux suivants, datés entre -180 000 et -220 000, sont l'œuvre des Néandertaliens et appartiennent à la phase ancienne du Paléolithique moyen (entre -300 000 et -130 000).
Enfin, l'occupation la plus récente, il y a 85 000 ans, appartient aussi à l'homme de Néandertal et correspond à la phase récente du Paléolithique moyen (entre -130 000 et -40 000). Une vingtaine de sites de cette période sont déjà connus dans le nord de la France.
Plusieurs milliers de silex taillés
Dans les cinq niveaux, les vestiges des occupations sont ténus, les restes organiques (os et bois) n'ayant malheureusement pas été préservés en raison de l'acidité des sols. Cependant, ce sont en tout plus de 3 200 pièces de silex taillé qui ont été recueillies. Il s'agit d'outils et d'armes, ou de déchets de leur fabrication, abandonnés sur place par les Néandertaliens.
Daté de -300 000, le niveau principal (principal à la fois par sa superficie et par le nombre de vestiges découverts) a livré vingt-huit bifaces, outil phare de l'époque acheuléenne. Ces bifaces ont été fabriqués dans les environs, puis importés sur le site avant d'être abandonnés sur place, très certainement après utilisation. Ils ont probablement servi de couteaux de boucherie, hypothèse qui devra être confirmée par l'étude des traces d'utilisation présentes sur les outils (tracéologique). L'analyse de la répartition des vestiges et les études lithiques apporteront également des éléments fondamentaux pour reconstituer les comportements et le mode de vie de ces premiers Européens.
Une exceptionnelle stratigraphie
L'examen des 11 m de stratigraphie a mis en évidence une séquence représentant l'accumulation de plus de 340 000 ans de sédiment. Grâce à l'étude de ces dépôts sédimentaires, on peut désormais suivre l'évolution du paysage en fonction des variations climatiques des trois derniers cycles interglaciaire-glaciaire enregistrés dans la coupe. Il devient ainsi possible de reconstituer les différents environnements dans lesquels ont évolué les Néandertaliens d'Étricourt-Manancourt, et d'affirmer que les hommes de Néandertal sont venus s'installer à cinq reprises sur un versant lors du début des trois dernières périodes glaciaires. Il s'agit à chaque fois d'un moment favorable à l'implantation humaine : avec la diminution des espaces boisés, suite à la chute des températures et l'assèchement progressif du climat, le paysage s'ouvre et le gibier y est abondant.
*140 ans d'Acheuléen dans la Somme
En 1872, Gabriel de Mortillet créait le terme « acheuléen » pour qualifier les plus anciennes industries alors connues, découvertes à Saint-Acheul, un faubourg d'Amiens. La vallée de la Somme est une terre pionnière de la Préhistoire, où œuvrèrent, dès le milieu du XIXe siècle, des figures emblématiques comme Jacques Boucher de Perthes, Gabriel de Mortillet et Victor Commont. Cent quarante ans après la création de cette culture acheuléenne, la Somme livre encore aujourd'hui à Étricourt-Manancourt de rares et précieux témoignages des origines du peuplement de l'Europe.
David Hérisson