Four à cloche
À côté de milliers de vestiges révélant des vies d’hommes et de femmes vouées à l’exploitation d’un terroir sur des temps longs, deux structures sont apparues, témoignant de moments remarquables dans l'histoire du village de Missignac.
Coupe schématique d’un moule de cloche.
© Nicolas Thomas, Inrap.
© Nicolas Thomas, Inrap.
Fondre une cloche dans un village du Languedoc au milieu du XIIe siècle
Les archéologues ont découvert les restes de deux fosses ayant servi à la fonte de cloches. La première, très mal conservée, datée du Xe ou du XIe siècle, a été retrouvée dans l’église. La seconde témoigne du remplacement de la cloche au milieu du XIIe siècle. Au Moyen Âge la cloche participe à la construction de l’identité d’un village. Ostentatoire, bien qu’elle donne plus à entendre qu’à être vue, elle rythme la journée et la semaine, elle convoque aux offices, prévient des décès et alerte de l’imminence d’une catastrophe.
Les vestiges archéologiques abondants permettent d’avoir une idée des dimensions de la cloche, des décors et des techniques de fonderie employées. Ces dernières peuvent être comparées à celles décrites par le moine Théophile dans son traité De diversis artibus, daté de la même période.
Pour la deuxième cloche, la fonderie a été installée à quelques dizaines de mètres de l’église, à l’intérieur d’une maison. Un espace couvert est en effet indispensable à la réalisation d’un moule en terre mis à sécher pendant plusieurs semaines, puis à cuire avant la coulée.
La fabrication du moule
Le moule de Missignac a été mis en forme selon la méthode préconisée par le moine Théophile, dite « à la cire perdue ». Une cloche est un solide de révolution qui peut être engendré par une surface plane autour d’un axe. Le noyau du moule en terre est fabriqué en le faisant tourner sur un axe, vertical ou horizontal. La surface externe du noyau correspond à la surface interne de la cloche. Après séchage, une couche de cire est appliquée sur le noyau. Sa surface coïncide avec la surface externe de la cloche ; elle est façonnée en tournant le moule pour s’assurer de la régularité de l’épaisseur de la future cloche. Sur la cire, on peut appliquer des décors et des inscriptions. C’est la fausse cloche. Ensuite, une couche de terre recouvre la cire, c’est la chape.
Après séchage complet, le moule est mis à cuire. La cire, fusible à moins de 100°C, va s’écouler lentement et laisser, entre le noyau et la chape, un creux dans lequel le métal en fusion sera coulé une fois finie la cuisson. La fosse de coulée est aménagée avec des canaux disposés en croix sous le moule, afin d’entretenir un feu constant. Après la coulée du métal, sa solidification et son refroidissement, le moule est cassé et la cloche extraite.
Avec un diamètre de 65 cm à la base pour 25 cm environ au sommet, la cloche de Missignac est de dimensions modestes. Sa hauteur devait atteindre 50 à 60 cm. Les fragments de moule retrouvés dans la fosse rendent compte d’un décor fait de filets horizontaux, de volutes et d’inscriptions en latin : SAEC[...], sans doute pour saeculum (« siècle », et une partie du nom du fondeur [...]NUS ME [fecit] (« …nus m’a fait »).
- Fosse de coulée d’une cloche datée du milieu du XIIe siècle, dont les contours sont soulignés...Fosse de coulée d’une cloche datée du milieu du XIIe siècle, dont les contours sont soulignés par un léger creusement. Elle est ici vue du dessus et en coupe avant sa fouille. Sa longueur et sa largeur maximales sont respectivement de 205 cm et 90 cm, pour une profondeur de 55 cm. On distingue la couche de fragments du moule de la cloche. La forme de la fosse est en « trou de serrure », avec une partie cylindrique au sud, où était disposé le moule de la cloche, et une aire de travail rectangulaire au nord.Madame, Saint-Gilles le Vieux, Aimargues (Gard), 2013.© Nicolas Nikkis, Inrap.
- Évocation de la mise en forme d’un moule à cloche selon le De diversis artibus du moine Théophile (milieu du...Évocation de la mise en forme d’un moule à cloche selon le De diversis artibus du moine Théophile (milieu du XIIe siècle).© Hans Drescher (Kunst und Kultur der Karolingerzeit, 1999).
- Fosse de coulée d’une cloche datée du milieu du XIIe siècle en cours de fouille à Missignac. On...Fosse de coulée d’une cloche datée du milieu du XIIe siècle en cours de fouille à Missignac. On aperçoit nettement l’empreinte de la base du moule. Celui-ci reposait au-dessus de canaux disposé en croix destinés à diffuser la chaleur lors de sa cuisson.Madame, Saint-Gilles le Vieux, Aimargues (Gard), 2013.© Nicolas Nikkis, Inrap.
- Fragment de moule en terre cuite portant une inscription (milieu du XIIe siècle) en cours de dégagement. Il...Fragment de moule en terre cuite portant une inscription (milieu du XIIe siècle) en cours de dégagement. Il mesure environ 5 cm x 8 cm et présente un « X » dont chaque branche finit en volute et un double filet horizontal.Madame, Saint-Gilles le Vieux, Aimargues (Gard), 2013.© Nicolas Nikkis, Inrap.
- Photographie en lumière rasante d’un fragment de moule en terre cuite portant l’inscription NUSME (milieu du...Photographie en lumière rasante d’un fragment de moule en terre cuite portant l’inscription NUSME (milieu du XIIe siècle). Il mesure environ 10 cm x 17 cm et pèse 370 g.Madame, Saint-Gilles le Vieux, Aimargues (Gard), 2013.© Nicolas Thomas, Inrap.
- Photographie en lumière rasante d’un fragment de moule en terre cuite portant un « A » ornementé...Photographie en lumière rasante d’un fragment de moule en terre cuite portant un « A » ornementé (milieu du XIIe siècle). Il mesure environ 4,5 cm x 5 cm et pèse 20,6 g.Madame, Saint-Gilles le Vieux, Aimargues (Gard), 2013.© Nicolas Thomas, Inrap.
- Inscriptions et décors des principaux fragments de moule. Le relevé les présente tels qu’ils devaient figurer sur la...Inscriptions et décors des principaux fragments de moule. Le relevé les présente tels qu’ils devaient figurer sur la cloche, c’est-à-dire à l’envers de leur empreinte dans le moule. Par erreur le « N » a été incisé à l’endroit, de sorte qu’il apparaissait à l’envers sur la cloche.Madame, Saint-Gilles le Vieux, Aimargues (Gard), 2013.© Odile Maufras, Nicolas Nikkis, Inrap.
- Fragment de la paroi du four où cuivre et étain étaient fondus ensemble (milieu du...Fragment de la paroi du four où cuivre et étain étaient fondus ensemble (milieu du XIIe siècle). Constitué de terre cuite, il mesure environ 10 cm x 15 cm et pèse 360 g. Des coulures de bronze sont visibles sur la surface vitrifiée.Madame, Saint-Gilles le Vieux, Aimargues (Gard), 2013.© Nicolas Thomas, Inrap.
- Remontage de plusieurs fragments de terre cuite appartenant au fond du four de fusion (milieu du XIIe siècle)....Remontage de plusieurs fragments de terre cuite appartenant au fond du four de fusion (milieu du XIIe siècle). L’ensemble mesure environ 8 cm x 30 cm et pèse 888 g.Madame, Saint-Gilles le Vieux, Aimargues (Gard), 2013.© Nicolas Thomas, Inrap.
La fusion du métal et la coulée
Pour fondre le cuivre auquel est ajouté environ 20 % d’étain, il faut un four. Toujours installé plus haut que la fosse de coulée, celui-ci n’est jamais retrouvé lors d’une fouille archéologique. À Missignac, le four devenu inutile a été cassé et jeté dans la fosse. Les fragments découverts permettent de le reconstituer au moins partiellement. Il mesurait environ 40 cm de diamètre pour 20 cm de hauteur. Un fragment de tuyère témoigne de l’utilisation d’au moins un soufflet, même si l’on peut supposer qu’il y en avait plusieurs.
Évocation de moments remarquables
Outre la performance technique qu’elle met en œuvre, la réalisation d’une cloche fédère toute la communauté villageoise et lui fait partager de grands moments.
Fondre une cloche n’est pas une petite entreprise, surtout à ces périodes. Une fois la décision prise, il faut rassembler les fonds en incitant les membres de la communauté, du moins les plus fortunés, à verser leur obole. Il faut trouver l’artisan capable de réaliser l’ouvrage, le faire chercher, peut-être même assez loin. Après avoir négocié un accord sur le prix, les dimensions de l’ouvrage et ses décorations, il faut accueillir le fondeur au village pour plusieurs semaines, réunir les matières premières, définir un lieu où l’artisan pourra travailler et lui fournir des manœuvres.
Le jour fixé, le cuivre et l’étain vont être fondus ensemble. La fonte dure plusieurs heures ; des hommes se relayent aux soufflets pour apporter l’air nécessaire à l’obtention d’une température de plus de 1 100°C. Moment décisif que celui où le métal en fusion coule du four et remplit le moule, ou encore celui où le fondeur va casser le moule pour faire apparaître la cloche désirée, probablement dans un silence religieux où se cristallisent à la fois la crainte d’un raté et tout l’espoir d’un village. Moment certainement plus solennel, mais non moins festif où la cloche est bénie et hissée au clocher pour répandre ses premières vibrations dans le village et ses alentours.
Nicolas Thomas