Autel dédié à Jupiter
À Lattes, sur le site de Castelle GR, les archéologues ont découvert dans un puits antique un lot d’objets remarquables, parmi lesquels se trouvait un autel figuré en pierre témoignant d’un culte à Jupiter. L’ensemble de ces objets était pris dans un comblement du puits datant du IIe ou du IIIe siècle de notre ère.
Autel figuré brisé d’époque romaine (44 x 47 x 33 cm), vue de la face avant. La figure sculptée représente Jupiter, le corps nu, vêtu d’un paludamentum (manteau drapé des généraux ou empereurs romains). Il tient dans sa main droite le foudre. La main gauche tenait probablement un sceptre métallique qui a été arraché.
Castelle GR, Lattes (Hérault), 2014.
© Ghislain Vincent, Inrap.
© Ghislain Vincent, Inrap.
L’œuvre d’artisans locaux
L’autel a été sculpté dans un calcaire dur blanc/beige à grain très fin. La carrière d’où provient le bloc est inconnue, mais ce matériau se retrouve très largement au sein du piémont de garrigues situé au nord du site. Il a été régulièrement employé sur les sites antiques de la région pour la production de blocs ou d’objets en pierre. Il s’agit donc très certainement d’un travail local, exécuté par des artisans connaissant et utilisant les ressources de leur territoire. L’autel est taillé avec des outils adaptés à la dureté de ce calcaire et au travail de sculpture du personnage (ciseau grain d’orge, ciseau, foret et abrasif).
L’élément mis au jour dans le puits de Castelle correspond à la partie supérieure de l’autel. Il se compose, de haut en bas, d’un couronnement mouluré et d’un corps dont la face avant porte la représentation d’un personnage masculin debout identifié à Jupiter. Le dieu est conservé de la tête au sommet des cuisses. Il est représenté nu, vêtu uniquement d’une cape militaire (le paludamentum) retenue sur l’épaule droite par une fibule circulaire assez grosse et retombant amplement sur son épaule gauche. Le bras droit, levé à hauteur de visage, laisse apparaître les stigmates d’un arrachage : l’objet disparu devait être en métal, maintenu au bloc par le trou circulaire visible au niveau de la main.
Le couronnement de l’autel, au-dessus de la corniche, est occupé par deux cylindres latéraux (coussinets appelés pulvini en latin), décorés de volutes symétriques sur les faces avant et arrière. Ils encadrent une cavité circulaire creuse censée recevoir les offrandes (le foculus, autrement dit le foyer sur lequel on pratiquait le rite du sacrifice en l’honneur de la divinité). Le centre de cette cavité est occupé par la représentation sculptée d’une pomme de type « Calville », qui pourrait symboliser les offrandes réalisées lors des libations sur cet autel.
Bien que brisé, cet autel peut être restitué comme ayant eu une hauteur minimum d’environ 90 cm.
Malgré la disparition presque totale des traits de son visage, la divinité est reconnaissable à la présence de son principal attribut, le foudre, qu’il tient dans la main gauche. Le foudre évoque le tonnerre et renvoie au caractère lumineux (l’éclair) de la divinité. Dans sa main droite, il tenait un autre objet aujourd’hui disparu, que l’on peut supposer être un sceptre en métal, autre attribut majeur de Jupiter. Symbole d’autorité, le sceptre représente la majesté, Jupiter étant le roi des dieux.
Au roi des dieux
Le territoire de la cité antique de Nîmes (Colonia Augusta Nemausus), sur lequel se situe Lattes (Lattara), a livré pour toute l’Antiquité une quarantaine de témoignages du culte de Jupiter, qui en font la divinité la plus représentée du panthéon gallo-romain.
La plupart de ces témoignages sont des autels figurant le dieu ou seulement ses attributs. Sur d’autres, une inscription en latin cite le nom de la divinité et l’accompagne parfois d’autres informations, comme un adjectif qui le qualifie (« à Jupiter très bon, très grand »…). Le nom de la personne qui offre l’autel au dieu (le dédicant) est souvent mentionné, ainsi qu’une formule que l’on peut traduire par « en remerciement de l’accomplissement de son vœu ».
Le culte de Jupiter, roi des dieux et symbole de la puissance de Rome, s’est imposé en Gaule du sud avec la conquête romaine. Dieu romain par excellence, Jupiter est la figure majeure de la Triade Capitoline, qu’il forme avec les déesses Junon et Minerve, dont le culte était rendu à Rome et dans toutes les Provinces.
Sa présence sur cet autel n’est donc pas surprenante. En revanche, sa découverte sur le site de Castelle GR, dont l’état de conservation est relativement médiocre, est plus remarquable. Elle illustre la nature complexe de cet établissement vinicole antique du terroir lattois, occupé sur le long terme et qui associe en son sein divers aspects de la vie quotidienne : les travaux agricoles mais aussi les pratiques religieuses, notamment le culte à Jupiter.
Marilyne Bovagne et Ghislain Vincent