Une sépulture protohistorique remarquable

L’ensemble funéraire de Saint-Pierre nord et sud à Lattes se distingue d’autres occupations contemporaines par une organisation spatiale atypique jusqu’alors méconnue régionalement.
Assemblage des objets métalliques exhumés dans la sépulture SP30290 comprenant deux récipients métalliques (bassin et coupelle), ainsi qu’un couteau et deux attributs personnels (fibule et anneau).
Saint-Pierre Nord et Sud, Lattes (Hérault), 2013.
© Nathalie Chardenon, Inrap.
Sa composition, combinant enclos fossoyés, fossés et réseau de plantations, le tout associé à des structures parfois remarquables (bûchers et dépôts secondaires de crémation), en font un espace particulier dévolu à quelques individus seulement. Cette singularité se manifeste aussi au travers des objets enfouis auprès des défunts.

Un mobilier funéraire centré sur la boisson

Non loin d’une riche sépulture, vraisemblablement féminine, où se côtoient des éléments de parures mêlant or, argent, bronze ou encore ambre et corail, une tombe, sans doute celle d’un homme cette fois, se démarque des autres dépôts.
 
Installé dans le linéament d’un des fossés d’enclos, le dépôt s’organise autour d’un pithos (grande jarre à fond étroit et plat) utilisé comme réceptacle des ossements. Autour et dans cet ossuaire sont accumulés et enchevêtrés plusieurs éléments de vaisselle. Dans le vase cinéraire se trouvent quelques attributs personnels, parmi lesquels un anneau, une fibule et un couteau de grand module, dont l’utilisation comme arme ou comme outil de sacrifice peut être supposée. Cette tombe recèle en outre un amoncellement inhabituel de récipients céramiques et métalliques. Constitué de trois coupes-coupelles, d’un petit vase à anse, le tout en céramique non tournée, ainsi que d’une amphore massaliète, cet assemblage relève essentiellement du service et de la consommation de la boisson. Une coupelle à rebord perlé et un bassin en bronze complètent le dépôt. 

La spécificité de cette structure (localisation, agencement, composition) semble répondre à des usages codifiés concourant à la distinction de représentants éminents de communautés (élites). Ces composantes significatives, notamment la présence de la vaisselle métallique, seraient une façon de valoriser l’individu et d’en souligner l’appartenance sociale.

L’ensemble renvoie à une succession de pratiques rituelles allant du sacrifice au repas funéraire et aux libations. Il suggère notamment la symbolique du vin, évoquant le partage et la commensalité, attestés à différentes étapes du cérémonial des funérailles. Une expression emblématique du banquet, le symposion dans les cultures classiques méditerranéennes, trouve un écho avec l’aménagement d’un petit jardin funéraire planté en vigne situé dans un espace contigu à la tombe.

Des dépôts révélateurs de l’identité des défunts ?

Cette sépulture, dont la datation remonte au courant du Ve siècle avant notre ère, s’inscrit dans un contexte économique prospère, marqué par des échanges et un trafic commercial méditerranéen florissant. Une forte présence étrusque, italique et grecque à partir du VIe siècle avant notre ère et durant le siècle suivant a ainsi pu être peu à peu révélée au travers de fouilles menées sur les sites de la Cougourlude et de Saint-Sauveur (correspondants respectivement au village, emporion indigène primitif et au comptoir commercial de Lattara). Lattes devient alors un relais de distribution majeur.

La tombe remarquable de Saint-Pierre n’est pas sans rappeler d’autres découvertes exceptionnelles, en relation avec le rayonnement de Lattes, où convergent des marchandises et des personnes d’horizons parfois lointains : la tombe à arme isolée de la Céreirède, renfermant une amphore étrusque utilisée comme ossuaire, un poignard en fer ainsi qu’un strigile et un bassin à rebord perlé en bronze, le lot de huit bassins en bronze isolés  mis au jour à Soriech, la sépulture à fibule hispanique de la Cougourlude ou encore l’enclos à bassin perlé et simpulum de la Pailletrice. Toutes implantées sur le territoire lattois, à des points parfois stratégiques (limites de territoire, bord de voies, passages à gué…), ces sépultures partagent beaucoup de points communs et posent la question de l’identité et du statut des défunts. 

La difficulté repose alors sur la valeur et la fonction identitaire accordée aux mobiliers d’accompagnement déposés dans les sépultures, qu’il s’agisse d’accessoires vestimentaires, d’éléments de parure, comme d’ustensiles domestiques ou de vaisselle. Sommes-nous en présence de sépultures de notables indigènes qui, selon des phénomènes d’acculturation, se sont peu à peu approprié l’usage et la portée symbolique de certains objets, ou s’agit-il de tombes de navigateurs, de commerçants, de marchands et de courtiers étrangers (étrusques, grecs, ibères) séjournant à Lattes ?

Un individu très certainement privilégié

La tombe de Saint-Pierre regroupe des objets empruntés à des usages exogènes et d’autres teintés de caractéristiques indigènes. Quelques céramiques communes non tournées, ainsi qu’une fibule à pied relevé de type Golfe du Lion appartiennent à un faciès de mobilier local. En revanche, d’autres pièces, plus rares voire uniques, sont assimilables à des produits d’importation. C’est le cas du bassin en bronze de type simple (fond plat, bord légèrement oblique et peu élevé) qui, par sa morphologie, se rapproche de productions italiques, parmi lesquelles un exemplaire mis au jour dans la sépulture de S. Cerbone à Populonia datée de 420-380 avant notre ère. 

De la même façon, l’origine étrusque des bassins et coupelles à rebord perlé est aujourd’hui quasi certaine. L’existence de plusieurs centaines d’exemplaires recensés en Italie, ainsi que leur présence associée à une cargaison d’amphores étrusques dans l’épave du Grand-Ribaud F, exhumée au large des côtes (Giens, Var), laissent peu de doute quant à leur provenance. En Italie, ces récipients sont en grande majorité l’apanage de tombes de guerriers et revêtent une double fonction : la première est utilitaire (coupe à boire et assiette) ; la seconde est de constituer le marqueur d’un rang social élevé (relevant de pratiques aristocratiques). 

Ce critère semble transposable en Gaule à l’âge du Fer, tant en Provence qu’en Languedoc. En effet, les pièces de vaisselle métallique provenant de contextes funéraires sont presque exclusivement associées à des mobiliers discriminants à forte symbolique masculine (armes, couteau, rasoir). 

Quant au couteau en fer, de morphologie et de module relativement particuliers, peu comparables à la plupart des exemplaires mis au jour régionalement, il pourrait s’apparenter à un modèle grec diffusé très tôt durant le premier âge du Fer. Un ustensile proche est attesté dans une des sépultures de la nécropole du Peyrou, à Agde, et deux autres proviennent du sanctuaire de Bitalemi à Gela (Sicile).

La mixité de ce dépôt et l’alliance de produits importés d’origines diverses pourraient appuyer ici l’hypothèse d’une sépulture indigène : celle d’un individu privilégié, en capacité d’acquérir des biens de prestige et de les intégrer aux pratiques en usage dans la région ; d’un homme à qui reviendraient certaines prérogatives, comme la consommation de boissons alcoolisées, leur offrande en libation ou encore le partage de la viande de sacrifice. Les analyses chimiques réalisées sur plusieurs échantillons prélevés dans la tombe révèlent un panel varié de denrées ensevelies, dont il conviendra de décrypter le sens et la substance… 

Nathalie Chardenon