Les amphores, le vin, le commerce
L’amphore est le conteneur principalement utilisé durant l’âge du Fer et l’époque gallo-romaine pour transporter sur de longues distances, essentiellement par voie maritime, des denrées liquides (vin, huile) ou semi-liquides (sauces de poisson, olives et fruits macérés). Selon sa forme, il est possible de déterminer son origine géographique, son contenu et sa datation. Par le biais de ce qui a été découvert dans des épaves et sur les sites d’habitat, on étudie l’évolution des goûts alimentaires des populations ainsi que les différents courants commerciaux qui jalonnent tout le bassin méditerranéen.

Amphore vinaire italique de type Dressel 1A/B.16 avenue Alfred-Rambaud (Haute-Garonne), 2007.
© Olivier Dayrens, Inrap.
Un important centre de commercialisation de vin
À Toulouse, si les amphores sont présentes sur pratiquement tous les sites antiques, elles sont omniprésentes durant toute la période gauloise. Au cours des deux derniers siècles avant notre ère, l’Italie possède le quasi-monopole de la production et de la commercialisation du vin. Celui-ci est transporté dans de grandes amphores allongées et terminées par un fond pointu, ce qui leur permet d’être empilées dans la cale des navires. Ces derniers accostent dans les ports de Narbonne, les amphores sont déchargées et remontent l’axe Aude-Garonne dans des chariots jusqu’à Toulouse. La position géographique, à la frontière entre la région romanisée de la Narbonnaise et la Gaule indépendante permet de la capitale des Volques Tectosages d’être l’un des centres les plus importants de commercialisation et de consommation de vin. C’est du moins ce que nous laissent croire les importantes quantités d’amphores retrouvées dans le quartier Saint-Roch ainsi que sur l’oppidum de Vieille-Toulouse.
La masse de ces vestiges tendrait à démontrer l’ivrognerie des Gaulois à laquelle certains auteurs latins ont parfois fait référence. Mais une étude approfondie des découvertes effectuées sur l’oppidum de Vieille-Toulouse, occupé durant un siècle et demi environ, permet de relativiser cette image d’Épinal. Les amphores provenant d’un quartier d’habitat ont permis de reconstituer un volume global de vin d’environ 754 hl, soit une consommation moyenne annuelle de 502 l, c’est-à-dire l’équivalent de seulement vingt amphores !
L’amphore : de la fabrication à la vente
Plusieurs indices permettent de reconstituer la chaîne opératoire de la fabrication de l’amphore à sa vente : des estampilles au nom du contremaître ou du propriétaire de la fabrique sont imprimées sur la lèvre ou les anses, des marques peintes sur le col indiquent parfois les consuls sous le règne desquels le vin a été produit, le bouchon en pouzzolane mentionne le négociant… Les bateaux, une fois affrétés, naviguent par cabotage le long des côtes italiennes puis françaises. La répartition géographique des estampilles permet de reconstituer la diffusion des divers crus : le vin étrusque est préférentiellement diffusé par les vallées du Rhône et de la Loire à partir du port de Marseille, tandis que le vin campanien est plutôt distribué sur les sites de consommation du Sud-Ouest par les ports de Narbonne. Toulouse reçoit alors une grande partie des arrivages d’amphores, pour la consommation sur place ou bien la redistribution vers d’autres marchés.
Une amphore italique mesure en moyenne 80 cm de haut pour un poids d’une vingtaine de kilos. Une fois son contenu vidé, cet « emballage » devient un objet encombrant et sans valeur. Il est donc d’usage de le recycler : la partie supérieure est découpée, la panse devient un récipient de stockage pour le grain ou l’eau, le col sert de canalisation ou bien de calage pour les poteaux, les fragments assainissent le sol des bâtiments implantés sur des terrains humides et stabilisent et aplanissent les voies de circulation. On retrouve néanmoins des amphores entières dans les puits où elles servent à colmater le coffrage et remplissent le conduit lorsqu’il est hors d’usage.
Une diversification des provenances et des produits
Après la conquête césarienne, l’Italie perd son monopole de la culture de la vigne et du commerce du vin au profit de l’Espagne. La région catalane produit un vin de moins bonne qualité mais peu cher, distribué dans un nouveau modèle d’amphore s’inspirant de la forme italique. Le succès est rapide et, au changement d’ère, le vin italique ne représente plus qu’une toute petite partie des importations, d’autant plus que la Gaule commence à produire elle-même ses crus.
Les découvertes toulousaines montrent une grande disparité dans la provenance et les produits importés. Dès le Ier siècle avant notre ère, on observe de nouveaux goûts en usage dans la cuisine traditionnelle romaine avec l’introduction dans l’alimentation de l’huile d’olive et des saumures. Au siècle suivant, ces pratiques sont devenues communes et les amphores attestent une arrivée massive d’huile et de sauces de poisson du sud de l’Espagne, du Portugal et de Tunisie. Quant à la consommation de vin catalan, elle se substitue à celle de vins locaux ou régionaux, dont il devient alors difficile d’appréhender les volumes : la distance entre le producteur et le consommateur étant réduite, l’usage de l’amphore n’est plus nécessaire et le transport est assuré par des conteneurs en matière périssable comme le tonneau ou l’outre.
À partir du IIIe siècle, les importations africaines sont omniprésentes, tant pour l’huile que pour le vin, et ce jusqu’au Ve siècle. Les vins de Méditerranée occidentale (Chypre, Turquie, Égypte, bande de Gaza) apparaissent au IVe siècle et sont encore observés dans les niveaux du VIe siècle. À partir de la fin de ce siècle, les amphores se raréfient et ne semblent plus être en usage au VIIIe siècle.
Laurence Benquet
Laurence Benquet