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Les céramiques du Toulousain à l’époque moderne

Le Midi toulousain, riche de l’argile du bassin de la Garonne et de ses affluents, est une région particulièrement productrice de poteries. 
Ensemble de vaisselle décorée de Cox-Lomagne, milieu du XVIIe siècle.
La production de Cox-Lomagne est alors à son apogée. On reconnaît tous les types de motifs : zoomorphe, fleur de lys, calligraphique, géométrique, stylisé au pinceau à deux brins.
Cité judiciaire, Toulouse (Haute-Garonne), 2007.
Du Moyen Âge à la Révolution, des ateliers de céramiques développent des productions nombreuses et variées. Leur originalité et la situation de Toulouse entre mer Méditerranée et océan Atlantique leur ouvrent, au XVIIIe siècle, la porte du marché des Amériques.

Ateliers de Cox-Lomagne et de Giroussens

Les ateliers du groupe de Cox-Lomagne, qui regroupent de nombreux villages près de Toulouse, ont produit de multiples types de vases entre le XVIe et le XIXe siècle. De l’écuelle au pot de fleurs en passant par la marmite, ils se caractérisent par l’utilisation d’une pâte plutôt claire. Cette nébuleuse d’ateliers artisanaux est liée à un réseau de marchands ambulants. Ces derniers organisent ainsi la production en fonction des marchés plus ou moins proches. Les fours et ateliers les mieux connus, car les seuls vraiment étudiés, sont ceux du village de Cox (Haute-Garonne).

L’autre spécialité de ces ateliers est la production céramique peinte sur engobe et recouverte de glaçure plombifère. Cette technique bien connue au Moyen Âge est en pleine désuétude à la fin du XVIe siècle quand se développe la production de faïence dans l’Europe entière. Pourtant, les produits de Cox-Lomagne trouvent le succès en ajoutant une nouvelle couleur, le bleu, aux vert et brun généralement utilisés jusque-là pour les décors sur engobe. Les écuelles, jattes ou cruchettes sont ornés de décors géométriques, parfois figuratifs et naïfs. Au XVIIe siècle se développe une gamme très étendue de motifs réalisés au pinceau à deux brins. L’archéologie préventive a permis de constater l’utilisation de cette vaisselle décorée sur tous les sites urbains ou ruraux de cette période : Lycée OzenneCité judiciaire, Hôtel Saint-Jean, École d'économie, Lycée Saint-Sernin, En Batut à Flourens.
À la fin du XVIIe siècle et au début du siècle suivant, d’autres ateliers du même type, mais situés autour de Giroussens dans le Tarn, viennent concurrencer les produits de Cox-Lomagne. Utilisant aussi la peinture sur engobe, ces ateliers fabriquent de grands plats polychromes intégrant la couleur jaune. L’essentiel de leur production présente pourtant des décors plus simples de lignes brunes ou de spirales de couleur verte sur le fond d’assiettes ou d’écuelles.

De l’exportation à l’ère de la faïence

L’archéologie montre également que Toulouse et sa région ne constituent pas le seul marché de ces productions. Les poteries issues de ces deux groupes d’ateliers, pourtant de qualité modeste et de technologie limitée, se retrouvent tout le long de la Garonne jusqu’à Bordeaux, dans les ports de la façade atlantique, à Amsterdam et jusqu’au Canada, puisque le Québec est ravitaillé par le port de Bordeaux jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Les céramiques du Toulousain apparaissent donc comme un marqueur d’un considérable réseau économique du sud-ouest de la France dédié à la fourniture de produits pour les Amériques : vin, eau-de-vie, fruits séchés, farine, tissus…

L’ouverture du canal du Midi relie directement Toulouse à la Méditerranée en 1682. Par cette nouvelle voie, l’arrivée des faïences italiennes accentue l’ouverture de la métropole au commerce international. La technologie de cette céramique pénètre enfin à Toulouse par l’intermédiaire de potiers montpelliérains copiant la faïence de Moustiers dans le courant du XVIIIe siècle. C’est le cas de l’atelier de Théophile Collondre, fouillé en 1989 au port Saint-Etienne.

À la fin du XVIIIe siècle, les faïenceries apparaissent partout en Midi-Pyrénées. Seules subsistent les plus productives, à Toulouse et à Martres-Tolosane, qui fournissent la vaisselle de table recueillie sur les quelques sites d’époque moderne fouillés à Toulouse. Cette tradition manufacturière trouve son aboutissement avec les fabriques de porcelaine et faïence fine de Fouque et Arnoux à Toulouse et Saint-Gaudens aux XIXe et XXe siècles.

Pour une archéologie industrielle

Au-delà des informations technologiques et fonctionnelles, les poteries d’époque moderne, comme d’autres produits désormais manufacturés, représentent un témoignage irremplaçable de l’évolution des réseaux économiques et sociaux. Malgré la documentation écrite disponible pour cette période historique, il apparaît maintenant nécessaire d’appréhender cette culture matérielle dans son contexte de production (manufactures et ateliers), de commercialisation (ports et transports) et de consommation (ruraux et urbains). Elle démontre l’intérêt du développement d’une archéologie de l’histoire de l’industrie, tout comme celle de sites d’époque moderne encore trop souvent négligés.

Jean Catalo