Que nous apprennent les sépultures du couvent des Jacobins ?
Alors que les nécropoles antiques se situent à la périphérie de Condate, au Moyen Âge et à l’époque moderne, les morts entrent dans la ville. Rennes se structure alors autour de l’église et de ses édifices cultuels. La construction de la cathédrale Saint-Pierre, « Mater Ecclesia », est achevée à la fin du XIVe siècle. En 1415, la ville compte déjà dix paroisses, autant d’églises et de chapelles, au moins trois prieurés, dont le couvent des Jacobins dans le faubourg nord, trois hôpitaux et une léproserie. Si les sépultures des petites gens sont regroupées dans le cimetière paroissial, les églises rattachées aux ordres mendiants (franciscains, dominicains et carmélites) captent de plus en plus de fidèles à partir de la seconde moitié du XIVe siècle, entrant en concurrence directe avec les lieux plus traditionnels.
La vocation très particulière du couvent des Jacobins
Trois couvents se démarquent par leurs rayonnements spirituels et funéraires, ayant la préférence des bourgeois et nobles rennais : le couvent des Cordeliers, celui des Carmes et celui des Jacobins. En plus d’accueillir de nombreuses sépultures aristocratiques, ce dernier est un centre de réunion des États provinciaux, de prédication, d’enseignement et un lieu de pèlerinage interrégional. Exploré en amont de la construction du nouveau centre des congrès, le site a livré près d’un millier de sépultures datées entre les XVe et XVIIIe siècles, dont celle de Louise de Quengo († 1656).
Trois phases d’inhumation sont repérées sur le site : la première est antérieure à la construction du couvent, la seconde couvre la période comprise entre la fin du XIVe et celle du XVIe siècle (137 sujets étudiés) et la dernière, les XVIIe et XVIIIe siècles (456 sujets étudiés). Au fil du temps, les sépultures se concentrent davantage dans les bâtiments conventuels, notamment dans l’église (nef et chœur) et la chapelle Notre-Dame, qui lui est attenante. Les galeries du cloître, la salle capitulaire et la chapelle Saint-Joseph sont également des lieux d’inhumation prisés. Les espaces conventuels possèdent des valeurs symboliques très différentes d’un endroit à l’autre.
Trois phases d’inhumation sont repérées sur le site : la première est antérieure à la construction du couvent, la seconde couvre la période comprise entre la fin du XIVe et celle du XVIe siècle (137 sujets étudiés) et la dernière, les XVIIe et XVIIIe siècles (456 sujets étudiés). Au fil du temps, les sépultures se concentrent davantage dans les bâtiments conventuels, notamment dans l’église (nef et chœur) et la chapelle Notre-Dame, qui lui est attenante. Les galeries du cloître, la salle capitulaire et la chapelle Saint-Joseph sont également des lieux d’inhumation prisés. Les espaces conventuels possèdent des valeurs symboliques très différentes d’un endroit à l’autre.
- Dégagement d'un sarcophage en plomb dans le chœur de l'église du couvent des Jacobins. Environ 800 sépultures y ont...Dégagement d'un sarcophage en plomb dans le chœur de l'église du couvent des Jacobins. Environ 800 sépultures y ont été mises au jour par les archéologues, dont cinq cercueils de plomb. L’un d’eux contenait une dépouille dans un état de conservation exceptionnel. Son étude est un témoignage rare des pratiques funéraires des élites du XVIIe siècle.Couvent des Jacobins, Rennes (Ille-et-Vilaine), 2013.
© Hervé Paitier, Inrap - Dégagement d'un cercueil en plomb découvert au couvent des Jacobins. Les cercueils en plombs sont ouverts à la scie...Dégagement d'un cercueil en plomb découvert au couvent des Jacobins. Les cercueils en plombs sont ouverts à la scie sauteuse et les archéologues travaillent avec des combinaisons étanches pour se protéger des particules de métaux lourds, de possibles gaz de décomposition et des champignons potentiellement présents dans ces milieux confinés.Couvent des Jacobins, Rennes (Ille-et-Vilaine), 2015.
© Hervé Paitier, Inrap - Cercueils en plomb contenant des squelettes découverts au couvent des Jacobins. Les squelettes étaient assez bien...Cercueils en plomb contenant des squelettes découverts au couvent des Jacobins. Les squelettes étaient assez bien conservés, des pratiques d’embaumements rituels ont pu être observées.
Couvent des Jacobins, Rennes (Ille-et-Vilaine), 2015.
© Rozenn Colleter, Inrap - Enregistrement des sépultures dans la salle capitulaire du couvent des jacobins.Couvent des Jacobins, Rennes...Enregistrement des sépultures dans la salle capitulaire du couvent des jacobins.Couvent des Jacobins, Rennes (Ille-et-Vilaine), 2013.© Hervé Paitier, Inrap
- Rangée de sépultures en face d'un enfeu (niche à fond plat destinée à abriter un tombeau) dans la...Rangée de sépultures en face d'un enfeu (niche à fond plat destinée à abriter un tombeau) dans la chapelle Notre-Dame du couvent des Jacobins.
Couvent des Jacobins, Rennes (Ille-et-Vilaine), 2013.
© Hervé Paitier, Inrap - Dégagement d'un sarcophage en plomb dans le chœur de l'église du couvent des Jacobins. Couvent des Jacobins, Rennes...Dégagement d'un sarcophage en plomb dans le chœur de l'église du couvent des Jacobins.
Couvent des Jacobins, Rennes (Ille-et-Vilaine), 2013.
© Hervé Paitier, Inrap - Fouille de sépultures dans la galerie des enfeus (niches à fond plat destinées à abriter un tombeau) de la...Fouille de sépultures dans la galerie des enfeus (niches à fond plat destinées à abriter un tombeau) de la chapelle Notre-Dame au couvent des Jacobins.
Couvent des Jacobins, Rennes (Ille-et-Vilaine), 2013.© Hervé Paitier, Inrap - Mise au jour de trois sarcophages en plomb d'époque moderne dans le chœur de l'église du couvent des Jacobins. Couvent des...Mise au jour de trois sarcophages en plomb d'époque moderne dans le chœur de l'église du couvent des Jacobins.
Couvent des Jacobins, Rennes (Ille-et-Vilaine), 2013.
© Hervé Paitier, Inrap - Sépultures mises au jour dans la chapelle de Bonne-Nouvelle du couvent des Jacobins. Couvent des Jacobins, Rennes...Sépultures mises au jour dans la chapelle de Bonne-Nouvelle du couvent des Jacobins.
Couvent des Jacobins, Rennes (Ille-et-Vilaine), 2013.© Hervé Paitier, Inrap
Privilèges et résurrection
L’intercession des religieux est très recherchée par les fidèles (la prière d'intercession consiste à formuler une demande en faveur d'un autre). En contrepartie du dépôt de sommes d’argent, ceux-ci manifestent donc leur volonté de faire célébrer des messes (c’est ce que l’on appelle les fondations de messes). Les services offerts sont alors très différents selon les endroits. Des sépultures particulièrement privilégiées se distinguent par des pratiques funéraires soignées et coûteuses. L’utilisation de cercueils en plomb, les pratiques d’embaumement, les caveaux maçonnés et la présence d’objets particuliers déposés dans les tombes (bulle papale, boucles d’oreilles en or…) donnent des indications sur le statut politique ou social de certains défunts. La présence d'urnes renfermant des cœurs humains (cardiotaphes) atteste la pratique de funérailles multiples, le corps d’un même individu pouvant être dissocié dans des lieux différents.
L’étude anthropologique de ce couvent montre que l’évolution sociétale de la Renaissance observe et poursuit les pratiques funéraires anciennes. Ainsi, comme plusieurs siècles auparavant, certains nobles continuent à vouloir être inhumés dans des lieux privilégiés, mais peu d’entre eux choisissent les cercueils en plomb pour la préservation de leur corps (moins de 2 % des contenants identifiés) et une minorité se tourne vers l’embaumement (moins de 4 % des sujets étudiés). Cette pratique connue dans la noblesse royale pourrait avoir été remise au goût du jour par le Concile de Trente (1542-1563) avec l’affirmation de la résurrection de la chair, la mode liée aux odeurs de sainteté que produiraient les corps de certains défunts, au culte des saints et aux cadavres imputrescibles. Si les pratiques funéraires en Europe évoluent vers un processus de sécularisation, la dimension religieuse des funérailles reste prégnante : l’embaumement des cœurs ou des corps n’assure pas seulement une conservation temporaire du défunt (besoin matériel), il permet de mettre en scène des funérailles (pour passer un pouvoir, un héritage) et de multiplier les lieux de dévotion.
L’étude anthropologique de ce couvent montre que l’évolution sociétale de la Renaissance observe et poursuit les pratiques funéraires anciennes. Ainsi, comme plusieurs siècles auparavant, certains nobles continuent à vouloir être inhumés dans des lieux privilégiés, mais peu d’entre eux choisissent les cercueils en plomb pour la préservation de leur corps (moins de 2 % des contenants identifiés) et une minorité se tourne vers l’embaumement (moins de 4 % des sujets étudiés). Cette pratique connue dans la noblesse royale pourrait avoir été remise au goût du jour par le Concile de Trente (1542-1563) avec l’affirmation de la résurrection de la chair, la mode liée aux odeurs de sainteté que produiraient les corps de certains défunts, au culte des saints et aux cadavres imputrescibles. Si les pratiques funéraires en Europe évoluent vers un processus de sécularisation, la dimension religieuse des funérailles reste prégnante : l’embaumement des cœurs ou des corps n’assure pas seulement une conservation temporaire du défunt (besoin matériel), il permet de mettre en scène des funérailles (pour passer un pouvoir, un héritage) et de multiplier les lieux de dévotion.
Pour en savoir davantage :
Colleter et al. 2016 : COLLETER (R.), DEDOUIT (F.), DUCHESNE (S.), MOKRANE (F.-Z.), GENDROT (V.), GÉRARD (P.), DABERNAT (H.), CRUBÉZY (É.), TELMON (N.). — Procedures and Frequencies of Embalming and Heart Extractions in Modern Period in Brittany. Contribution to the Evolution of Ritual Funerary in Europe. PLoS ONE, 11, 12, 2016, p. e0167988.
Colleter et al. 2017 : COLLETER (R.), CLAVEL (B.), PIETRZAK (A.), DUCHESNE (S.), SCHMITT (L.), RICHARDS (M.P.), TELMON (N.), CRUBÉZY (É.), JAOUEN (K.). — Social status in late medieval and early modern Brittany: insights from stable isotope analysis. Archaeological and Anthropological Sciences, 2017, p. 1‑15.
Colleter et al. 2016 : COLLETER (R.), DEDOUIT (F.), DUCHESNE (S.), MOKRANE (F.-Z.), GENDROT (V.), GÉRARD (P.), DABERNAT (H.), CRUBÉZY (É.), TELMON (N.). — Procedures and Frequencies of Embalming and Heart Extractions in Modern Period in Brittany. Contribution to the Evolution of Ritual Funerary in Europe. PLoS ONE, 11, 12, 2016, p. e0167988.
Colleter et al. 2017 : COLLETER (R.), CLAVEL (B.), PIETRZAK (A.), DUCHESNE (S.), SCHMITT (L.), RICHARDS (M.P.), TELMON (N.), CRUBÉZY (É.), JAOUEN (K.). — Social status in late medieval and early modern Brittany: insights from stable isotope analysis. Archaeological and Anthropological Sciences, 2017, p. 1‑15.