
Vestiges des dolia (grands récipients de stockage en céramique) mis au jour dans l'entrepôt du Ier et IIe siècles de notre ère. Situé au nord-ouest du site, celui-ci devait être une extension des docks du port. © T. Maziers, Inrap
Description
Dans le cadre de la construction de la nouvelle salle du conseil municipal dans l'« espace Bargemon », cinq zones de fouille ont été définies (765 m2) sur la rive nord du Vieux-Port. Les interventions se sont déroulées en 2002-2003 et ont mobilisé une équipe d'une trentaine d'archéologues de l'Inrap.Elles ont permis de montrer que l'arrivée des Grecs avait considérablement modifié l'environnement du secteur, notamment avec l'aménagement d'une zone de construction navale. À l'époque romaine, les docks du port s'étendent jusque-là. Un atelier de métallurgie s'installe pendant l'Antiquité tardive. Puis, au Moyen Âge, l'espace est déserté.
Résultats
Avant l'arrivée des Grecs
Les archéologues ont mis au jour, sur la rive nord sur de la calanque du Lacydon (l'actuel Vieux-Port), différents niveaux de plages sous-marines ou émergées. Ces plages, qui remontent à la fin de l'âge du Bronze (vers -800), étaient couvertes de petites branches et de cônes de pins, ce qui fournit des informations sur la végétation des collines : une pinède s'avançant très près du rivage.
La période grecque
Dès le début du VIe siècle avant notre ère, l'arrivée des Grecs venus de Phocée (Asie mineure) modifie considérablement l'environnement.
Outre l'abondance de la céramique, l'avancée des plages vers le sud jusqu'au milieu du VIe siècle constitue une preuve tangible de la colonisation phocéenne. En effet le défrichement et la mise en culture des collines alentour ont favorisé le lessivage des sols, et donc le colmatage progressif de la calanque en contrebas.
Au cours du dernier tiers du VIe siècle, des ateliers de construction ou de réparation navale s'installent sur les plages. Une couche de pierres identifiée lors de la fouille semble indiquer que les berges ont été aménagées au début du siècle suivant.
Puis des remblaiements témoignent de la volonté, dès le milieu du Ve siècle, de déplacer le rivage de plus de trente mètres vers le sud. Le secteur est alors dévolu à la construction navale. Les remblaiements se poursuivent tout au long du IVe siècle, permettant de nouveaux aménagements : caniveaux, fossé, sols de circulation, murs…
À partir du milieu du IIIe siècle un réseau de caniveaux alimente des cuves à couverture de bois. Très certainement lié à un atelier de travail du métal, il a connu plusieurs étapes de fonctionnement. Le seul espace de circulation du secteur est alors une voie est-ouest large de 7 m, dont la chaussée est constituée de terre battue.
Le site ne connaît pas de changements notables aux IIe et Ier siècles avant notre ère.
La période romaine
Les vestiges de la période romaine s'inscrivent dans la continuité des aménagements grecs.
Dans la première moitié du Ier siècle, un bâtiment thermal est construit dans la zone centrale du site. Le decumanus (axe est-ouest dans une ville romaine) est établi au nord de l'ancienne voie grecque. Bien qu'aucun vestige n'en ait été conservé, on estime que sa chaussée devait mesurer 4,10 m de large. Seuls subsistent un collecteur, qui suivait le tracé de la voie, et les traces des murs bordiers.
Au milieu du Ier siècle, le complexe thermal couvre une superficie d'au moins 3 300 m2. Une série de pièces mitoyennes situées dans son extrémité nord ouvrent sur une galerie piétonne longeant le decumanus ; il pourrait s'agir de boutiques. Des murs, dont on a retrouvé les fondations, délimitent cinq autres pièces. L'une d'elles, large de 3,50 m et parée d'un sol en mosaïque, servait de couloir d'accès aux thermes.
Des rangées de dolia (grands récipients de stockage en céramique) découvertes au nord-ouest du site signalent que les docks du port s'étendaient jusque-là.
Au cours de la seconde moitié du IIe siècle, le decumanus fait l'objet d'une réfection : désormais large de 7 m, sa chaussée est revêtue de dalles de calcaire et dotée d'un trottoir (au nord), tout comme la portion de voie découverte et conservée dans l'enceinte du Jardin des Vestiges (derrière le Centre Bourse).
Après l'abandon des docks à dolia, au début du IIIe siècle, la zone de stockage est comblée avant d'être remblayée. Un entrepôt à amphores y prend place par la suite. La présence de deux piliers de soutènement, semblables aux vestiges retrouvés sur la place Jules-Verne voisine, montre qu'il s'agit du même type de bâtiment.
L'Antiquité tardive
Le IVe siècle ne présente pas de modifications remarquables. Au Ve siècle, si la trame urbaine de l'époque romaine est globalement conservée, la fonction des bâtiments change radicalement.
La terrasse située au nord de la zone fouillée a désormais perdu sa vocation thermale au profit d'un atelier de métallurgie, qui s'étend au-delà de la voie antique, toujours en activité.
Une maison s'adosse au mur de façade occidental des anciens thermes : quatre pièces disposées en « L » encadrent une probable cour. Un habitat dispersé s'est implanté dès le IVe siècle sur la zone précédemment occupée par l'entrepôt à dolia. Selon toute vraisemblance, il est abandonné à la fin du Ve siècle.
Abandon puis réoccupation du quartier au Moyen Âge
À partir du VIIe siècle, les structures héritées de l'Antiquité, murs, sols ou puits, sont quasi systématiquement démantelées. Leurs matériaux sont récupérés et utilisés pour de nouvelles constructions, vraisemblablement des habitations, qui disparaissent avant la fin du siècle. De ce fait, comme souvent à Marseille, le haut Moyen Âge demeure ici une période mal connue. Le nord de la zone, déserté, s'étend entre deux ensembles fortifiés : à l'ouest, l'enceinte dite « château Babon » (du nom de l'évêque qui l'a fait édifier) ; à l'est, celle relevant de l'autorité du vicomte.
Ce n'est qu'au XIIe siècle qu'apparaît le premier signe d'une réoccupation du secteur, avec l'implantation d'un atelier de métallurgie. Puis, sous l'action conjuguée du monastère Saint-Sauveur et des vicomtes de Marseille, un quartier commerçant se développe, structuré par un réseau de rues qui relient le port au nord de la ville.
Les murs des maisons sont pour l'essentiel construits en petit appareil de moellons de calcaire, de grès ou de tuf, parfois aussi en pisé, dont l'emploi est fréquent à Marseille. Leurs sols, en grande partie détruits par les caves de l'époque moderne, ne peuvent fournir aux archéologues aucune précision sur les aménagements domestiques et professionnels.
Dans l'un des îlots, un important bâtiment, pourvu d'un sous-sol et d'un réseau de tuyaux intégrés dans les maçonneries, pourrait correspondre à un entrepôt en relation avec une proche boucherie. Selon une seconde hypothèse, il pourrait s'agir d'un établissement de bains mentionné dans un acte de 1214.
À partir du XIVe siècle, l'habitat se densifie au détriment des espaces non bâtis. En 1423, le quartier du port est en partie détruit par le sac des Catalans, pillage de Marseille par les troupes du roi Alphonse V d'Aragon.
À nouveau, la période qui s'étend du milieu du XIVe siècle à la fin du XVe siècle est totalement dépourvue de vestiges. Outre la crise européenne de la fin du Moyen Âge, la peste, la guerre de Cent Ans et la disette, Marseille a probablement subi une crise économique supplémentaire liée à la tutelle du duché d'Anjou.
La période moderne
Durant la période moderne, le quartier garde ses rues médiévales, à la largeur inchangée ; les petites traverses disparaissent.
Certaines parcelles, en particulier celles qui sont situées à des carrefours, s'agrandissent en regroupant plusieurs maisons anciennes. Mais pour l'essentiel, le parcellaire médiéval lui aussi perdure. Toute la surface au sol est progressivement occupée par le bâti, jusqu'aux espaces autrefois dévolus aux cours intérieures, désormais réduites à de simples puits de lumière. On construit des escaliers « à vis » (en forme de spirale tournant autour d'un point central), de plan carré. Cela indique que la maison n'est plus occupée par une seule famille, mais par plusieurs, à chaque étage.
Les façades sont partiellement recouvertes de pierre de taille et des corniches soulignent les étages. Les fenêtres, à meneaux, sont de très grande dimension afin de compenser l'obscurité due à la multiplication des étages (jusqu'à quatre) dans des rues dont la largeur n'excède pas 3,50 m. Une boutique occupe systématiquement le rez-de-chaussée, le long de la rue.
Au nord, le chantier de fouille se trouve en limite d'une ancienne place de marché, le Petit Mazeau, spécialisé dans la boucherie. Ce marché, connu depuis le Moyen Âge, est situé à l'extérieur de l'emprise de la fouille. Cependant, en croisant les textes et les données archéologiques, il a été possible d'en faire une restitution. Les « bancs » des bouchers, des échoppes exigües, étaient regroupés par quatre dans un réseau de ruelles. Ils étaient associés aux rôtisseurs ou aux boulangers.
Dans la partie sud du chantier se trouvaient les hôtels particuliers, à proximité de l'ancienne loge des marchands. Le plus ancien, l'hôtel de Remezan, aurait été construit à la fin du XVe siècle. Ce sont des éléments de sa façade (fenêtres à meneaux), retrouvés en remploi remployés dans des murs plus récents, qui permettent cette datation.
Au XVIIe siècle, la pratique se répand de creuser des caves sous les bâtiments, ce dont témoignent les systèmes d'étaiement en bois retrouvés dans les murs. Il arrivait même que certaines de ces caves s'étendent sous la rue ; elles ont été abandonnées au XVIIIe siècle. À cette époque, les constructions reposent souvent sur des assises en blocs en calcaire de la Couronne, eux-mêmes parfois posés sur des pieux afin d'assurer la stabilité sur un sous-sol argileux (en l'occurrence les anciennes vases de la calanque du Lacydon, celle du Vieux-Port). Un de ces blocs portait le nom du commanditaire de la maison ainsi que la date de sa construction.