
Femme âgée inhumée dans deux amphores africaines emboîtées. © M. Moliner, SAM
Description
Lopération archéologique préventive qui sest déroulée sur une surface de 800 m2 dans le quartier de la Joliette a permis de mettre au jour une nécropole paléochrétienne située au pied de lancienne butte du Lazaret (en partie rasée au XIXe siècle). Les sépultures étaient regroupées autour dune église du Ve siècle et dune « tombe fondatrice » (memoria). Lensemble était installé le long dune voie, au nord de la ville antique, à proximité immédiate dune des portes du rempart.Certains des vestiges découverts présentant un caractère exceptionnel, ils ont été prélevés ou moulés pour être placés dans un musée. Cinquante sépultures en amphores ont également été conservées pour être traitées en laboratoire dans le cadre dun programme de formation.
Résultats
Une église funéraire du début de lère chrétienne
Dotée dune abside orientée à lest et dune nef unique, léglise a été construite au Ve siècle, à lemplacement dun édifice romain à vocation sans doute funéraire (mausolée ?). Elle mesure plus de 35 m de long pour 16,50 m de large. Les pierres des murs ont été récupérées au moment de labandon du lieu, dans le courant du VIIe siècle.
Le chœur offre cependant un très bon état de conservation. Il abritait encore, lors de sa découverte, une partie de son aménagement liturgique, notamment une base dautel, un caisson à reliques ainsi quune tombe dite « fondatrice » ou « privilégiée » (memoria), recouverte de plaques de marbre décorées. Cette sépulture renfermait les restes de deux hommes dâge mûr inhumés dans des cercueils de plomb, eux-mêmes placés dans des sarcophages de calcaire.
Signe que ces personnages ont un temps été vénérés, leurs tombes étaient équipées dun système de conduits en bronze destiné à produire de lhuile sainte (sanctifiée par son contact avec la dépouille à lintérieur du cercueil). Il na pas encore été possible de les identifier, mais un important dépôt monétaire dans la memoria est à rapprocher dune forme de culte des martyrs.
Dans léglise
À lintérieur de lédifice religieux, soixante-quatorze sépultures sont accumulées autour de la tombe fondatrice. Les défunts, qui reposent principalement dans des sarcophages, ont été inhumés là entre le Ve et le VIe siècle.
La succession des ensevelissements sest opérée avec une superposition très dense dans le chœur et une réutilisation des réceptacles funéraires. Selon les phases, la population enterrée dans le chœur est différente. La plus ancienne comprend exclusivement des adultes, et surtout des hommes. À partir de la phase intermédiaire, les enfants pénètrent dans lespace sacré, mais toujours associés à des sujets adultes. La phase récente est marquée par l'apparition de sépultures dites « en tuiles » contenant presque exclusivement des enfants, parmi lesquels de nombreux nouveau-nés regroupés autour de la memoria. Ce changement est à mettre en relation avec lhistoire de lédifice, peu à peu abandonné au cours du VIe siècle.
Et hors de léglise
À lextérieur de léglise, de nombreuses sépultures ont été installées le long des murs de lédifice. En tout, cent cinquante-quatre tombes ont été découvertes. Les ensevelissements dadultes en sarcophage dominent, mais de manière moins dense quà lintérieur du bâtiment. On trouve une forte proportion damphores contenant les restes de nouveau-nés et denfants.
La diversité des sépultures est remarquable : simples fosses en pleine terre, cercueils de bois, bâtières ou coffres de tuiles, sarcophages. À proximité du mur septentrional de lédifice, les tombes denfants prédominent, selon une proportion dépassant les 60 %. Les dépouilles de ces derniers sont fréquemment déposées dans des amphores, découpées à hauteur des anses pour rendre possible lintroduction du corps. La taille Les amphores réutilisées à des fins funéraires proviennent surtout dAfrique et dOrient et sont dune taille adaptée à lâge des sujets inhumés. Ainsi, pour accueillir les restes dun adulte, deux de ces récipients sont emboîtés lun dans lautre.
Dans leur majorité, les défunts reposent, selon la tradition chrétienne, la tête orientée à louest, à la différence de ceux situés à proximité de la memoria, dont le rôle attractif rend lorientation secondaire.
Plusieurs constructions prenaient place à côté de léglise : des enclos funéraires, des zones de circulation, des escaliers daccès depuis la voie et un caniveau permettant lécoulement des eaux.
Une découverte exceptionnelle
La présence dune nécropole était bien sûr prévisible sur cet emplacement, situé le long d'une voie antique, à l'extérieur de la cité phocéenne. Mais lexistence dune église funéraire constitue une découverte inattendue.
Sa courte durée dutilisation et la récupération partielle de ses pierres au VIIe siècle ont fait disparaître lédifice funéraire, à la fois du paysage et des mémoires. Il est toutefois possible que lensemble corresponde à la « basilica sancti Stephani » (basilique de Saint Stéphane) mentionnée par Grégoire de Tours au VIe siècle. La poursuite des recherches tirera peut-être de lanonymat cet édifice, contemporain du premier édifice à atrium de Saint-Victor, également construit autour de tombes jumelles, sur la rive sud, de lautre côté du port.
La conservation du chœur de léglise, avec ses aménagements liturgiques et sa « tombe fondatrice », aide à mieux connaître lévolution des cultes et lexpansion de la foi aux premiers temps de lère chrétienne. Les deux cent vingt-huit sépultures mises au jour offrent loccasion dappréhender les pratiques funéraires entre le Ve et le VIe siècle. Une fois terminée, létude biologique des individus exhumés permettra de proposer une vision évolutive de la démographie et de létat de santé dun échantillon de la population marseillaise à lépoque paléochrétienne.
Prélevés ou moulés lors de la phase de terrain, les vestiges du chœur : murs, autel, memoria et sépultures ont été restaurés puis présentés au public, restitués à lidentique, dans le nouveau musée dHistoire de Marseille.