
Reconstitution de la tannerie médiévale. © G. Frommhertz, Inrap
Description
La fouille a été menée de fin 1999 à fin 2001 sur le site de lancienne salle de spectacle de lAlcazar, en préalable à la construction dune bibliothèque municipale. Outre la lecture du paysage de lAntiquité à la période contemporaine quelle a rendu possible, elle a aussi permis de nombreuses découvertes, dont celles dun bassin grec du Ve siècle avant notre ère et dune vaste plateforme romaine sur laquelle avait notamment été aménagé une exèdre (espace muni de sièges).Résultats
La période grecque
De larges et profondes excavations ont entaillé les sols les plus anciens de la zone. Les scientifiques considèrent aujourdhui quil pourrait sagir de carrières dargile grecques archaïques (VIe siècle avant notre ère). Seule une mince bande de terrain a été épargnée, en loccurrence celle où la fouille a été menée.
Labaissement considérable des sols consécutif à lextraction des matériaux a contribué à transformer le paysage. À louest de la zone fouillée, un étang sest formé au cœur dune vaste dépression.
Au centre de la fouille, le comblement des fosses est intervenu au début du Ve siècle avant notre ère. Rapidement après, un bassin de 6 m de long pour 3 m de large est construit en grands blocs de calcaire blanc de Saint-Victor. Cest un monument unique à Marseille. Une margelle devait à lorigine recouvrir ses bords, mais elle a disparu lors dune réfection à lépoque hellénistique. Lintérieur du bassin a sans doute été curé à plusieurs reprises durant lAntiquité. Le sédiment homogène grisâtre qui le remplissait date quant à lui de lépoque romaine ; il contenait des fragments de troncs évidés, provenant peut-être des tuyaux en bois.
Le bassin était alimenté depuis le nord par une canalisation. Dès lépoque grecque, un drain, remplacé ensuite par un aqueduc, conduisait son eau vers le sud. Il a peut-être servi de limite parcellaire aux terrains mis en culture au sud et à louest du bassin après quon y ait apporté de la terre arable. Au cours des IVe et IIIe siècles avant notre ère, un vignoble est établi dans cet espace. Les traces archéologiques quil a laissées, assez caractéristiques, sont très proches de celles trouvées à Saint-Jean-du-Désert : de grandes tranchées rectilignes doù partent, à distance régulière, de courts tronçons perpendiculaires interprétés comme des tranchées de marcottage (méthode de multiplication des végétaux).
À lest du vignoble, un ruisseau, canalisé entre deux murs, est remplacé, au cours du IIIe siècle avant notre ère, par une rue qui continue à être parcourue par des ruissellements.
Tel est le paysage que voit Jules César lorsquil assiège la ville en 49 avant notre ère.
LAntiquité romaine
Les vestiges dépoque romaine sorganisent dest en ouest en trois grands ensembles, qui reprennent très largement des structures de la période grecque.
Le premier ensemble comprend la zone située entre lactuelle rue du Baignoir et la place de la Providence. La majeure partie de lespace est constituée dune vaste dépression, dans laquelle on a retrouvé les restes dun monument datant de lépoque grecque. Le remplissage de cette dépression à lépoque romaine sest fait soit de manière naturelle, par ruissellement, soit par remblayage de terres provenant du dragage du port. À lest, la présence de murs de terrasse en limite de fouille témoigne de la proximité despaces certainement mis en culture sur la pente de la colline Saint-Charles. Dans langle sud-est, cinq tombes ont été fouillées ; elles appartenaient sans doute à une nécropole plus vaste. À louest, une rue a été aménagée entre deux murs grecs surélevés.
Le deuxième ensemble comprend, au nord et sur une zone surélevée, le bassin grec réaménagé. À proximité sélève un bâtiment situé en partie à lextérieur de lemprise de la fouille. Ce bâtiment longeait la voie principale et comportait une zone dagrément, sorte de salle à manger extérieure (triclinium), au sud. Du bassin partait un réseau de canalisations matérialisant certainement la présence dune zone mise en culture.
Le troisième et dernier ensemble est constitué dune vaste plateforme, délimitée par de puissants murs au nord et à lest. Deux éléments différents y ont été aménagés. Dune part, une vaste construction semi-circulaire munie de bancs (exèdre) et délimitant un jardin, dont les traces ont pu être fouillées ; des supports de banc étaient encore présents contre le mur dabside. Par ailleurs, un large espace rectangulaire conduit vers un monument dont des restes de marches ont été retrouvés.
LAntiquité tardive
Dès le Bas-Empire, la plateforme change daffectation. Toutefois, ce nest quà partir du Ve siècle que lon y construit de nouveaux bâtiments. Ceux-ci sorganisent le long dune nouvelle voie nord-sud, créée en limite orientale de la plateforme romaine. Son tracé passe sur le monument romain situé près de la plateforme, après sa destruction. Au sud-ouest de la voie, un bâtiment composé de quatre pièces a servi dhabitation ou de local artisanal. Plusieurs niveaux de sol ont été fouillés, souvent perforés par de larges fosses à la destination encore inconnue.
Plus au nord, un espace assez vaste, de même dimension que le bâtiment précédent, a pu servir de cour. Plusieurs pièces ont été dégagées, mais leur conservation plus fragmentaire en rend linterprétation délicate. À lest de la voie, une grande zone libre de constructions est délimitée par des murs reconstruits à plusieurs reprises.
Au-delà se trouvaient les restes du bassin grec puis romain. À cette époque, celui-ci nest plus quun petit bassin rectangulaire auquel on accède par un escalier de quelques marches, dont une est constituée dune stèle funéraire portant une inscription utilisée en remploi. De leau continue à sécouler à partir de ce bassin. La voie dépoque romaine a alors disparu.
Le dernier élément construit est un bâtiment rectangulaire de grande ampleur (17 m x 6,70 m), divisé par des murs porteurs (qui ne sont pas tous contemporains). Lensemble a été détruit probablement dans la première moitié du VIIIe siècle.
Tannerie, aménagement hydraulique puis faubourg médiévaux
Les premiers éléments dépoque médiévale ont été dégagés. On a ainsi mis à jour, dans la partie la plus proche de la ville, une tannerie datée de la seconde moitié du XIIe siècle et composée de plusieurs corps de bâtiments. Un grand puits (3,60 m de diamètre intérieur) et un aqueduc, qui passe sous le bâtiment aux cuves, servaient à alimenter le bâtiment industriel. Un ruisseau qui coulait librement entre la fin de lAntiquité et le XIIe siècle a été canalisé dans ce but.
Les niveaux de colluvions (sédiments déposés par les pluies le long et en bas des pentes) séparent très nettement les couches médiévales de celle de lAntiquité tardive. Le puits et laqueduc est-ouest du XIIe siècle ont été partiellement démantelés lors de la mise en place du faubourg à la fin du XIIIe siècle. Le deuxième aqueduc, daxe nord-sud, a survécu sous forme de fossé, destiné vraisemblablement à lirrigation des jardins du faubourg des Roubauds.
Les vestiges de maisons découverts sur le site de l'ancien Alcazar appartiennent au bourg de Morier, appelé ensuite faubourg des Roubauds. Ce nom est lié à la présence dun établissement de la congrégation de femmes (les béguines de Roubaud) fondé par Douceline, sœur d'Hugues de Digne, « l'homme fort du premier franciscanisme provençal ». Sa proximité immédiate avec le couvent des Frères Mineurs (vers lactuelle rue Tapis-Vert) montre le lien qui existait entre ces établissements.
Le faubourg se met rapidement en place au milieu du XIIIe siècle, avec un habitat d'abord disséminé, qui se densifie vers la fin du siècle. En 1300, une couronne de véritables quartiers urbains entoure la ville. Des transformations sociales s'opèrent tout au long de la première moitié du XIVe siècle dans ces quartiers, qui sont ensuite détruits.
La disparition des faubourgs est maintenant bien comprise. Entre 1357 et 1360, sous la pression de troupes armées que la guerre de Cent Ans a laissées livrées à elles-mêmes, la municipalité fait raser volontairement les habitations extra-muros et reloge leurs habitants dans la Juiverie (quartier situé à l'emplacement de l'actuel Centre Bourse). Dans ce contexte détruit, les éléments archéologiques sont peu nombreux. En revanche, la fouille a permis d'étudier les aménagements des différents espaces. Elle a dégagé plusieurs îlots : un premier, étroit, à lemplacement de lancienne tannerie, dont les maisons, collées dos-à-dos, ouvrent sur une rue. À lest, un îlot plus large vient border lancien fossé : il est constitué de maisons avec un jardin. Le dernier îlot se trouve à lest de la rue du Baignoir. Le creusement des caves dépoque moderne a détruit largement ces niveaux.
Lépoque moderne et contemporaine
Après les destructions de lépoque médiévale, le site est occupé par des jardins. Au début du XVIIe siècle, avant lagrandissement de la ville décidée par Louis XIV (vers 1670), des maisons sont construites le long des axes (futur cours Belsunce et rue du Petit-Saint-Jean).
Le premier îlot, le plus proche de la ville, est occupé à partir de 1636 par la congrégation de Saint-Hommebon. La fouille a permis de retrouver les vestiges des bâtiments et du jardin de la congrégation, léglise étant située hors du projet. Le long de la rue du Baignoir, plusieurs maisons ont été construites en même temps, au milieu du XVIIIe siècle. Elles présentent toutes des sous-sols identiques avec couloir et petites caves individuelles. Au sud, à langle de la rue du Petit-Saint-Jean, se trouvait l'auberge du Petit-Saint-Jean, dont on a retrouvé plusieurs états de constructions, avec une grande pièce au rez-de-chaussée, à la voûte supportée par des piliers.
Le second îlot était composé au nord-ouest de parcelles allongées, sans doute héritées du Moyen Âge ; l'une d'elles contenait une cave couvrant toute sa longueur. L'étude détaillée du bâti a montré que cet îlot était récent et que sa construction sétait faite au détriment dun ensemble cour-jardin. Au sud, les maisons nont pas été construites avant 1670-1680, époque à laquelle la rue du Petit-Saint-Jean a été prolongée.
Au cœur du premier îlot ont été retrouvés les vestiges de la fameuse salle de l'Alcazar, en loccurrence des éléments de fondation : les piliers de la salle de spectacles ainsi que les murs de la scène et de la chaufferie qui se trouvait sous les loges.